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On y cause de
Métal sous toutes ses formes, d'ambiance d'apocalypse, films, séries, jeux de rôle et jours de colère...

mercredi 5 juin 2019

INTERVIEW - JOHAN SCIPION AUTEUR DU JDR SOMBRE


Salut à toi.

Johan est un auteur de jeu de rôles indépendant et autonome. Vui monsieur, c’est tout comme je te le dis. Mais dans le monde du jdr (qui parfois se tape le coquillard de l'indépendance éditoriale et de tout ces trucs qui font réfléchir) Johan c'est surtout l'auteur de l'inénarrable et indétrônable Sombre, le jeu de rôle qui, en plus de te faire peur comme au cinéma, repense et repose les bases de ce fantastique loisir en une poignée de numéros.

Oulà, tout de suite ça en jette hein ? Ouais mais le pire c'est que c’est vrai.

Et comme Johan, sous ses airs de serial killer à tendances nécrophiles c'est aussi un mec bien sympa, nous nous sommes prêtés, lui et moi, au jeu de l'interview. On a bien rigolé pour cet exercice et il sera probablement renouvelé d'ailleurs. En parlant de ça s'il te vient des questions n’hésites pas à me les faire parvenir afin que je les compile pour un futur second entretien.

Bref. Le résultat fut publié sur le Tipeee du monsieur (là : https://fr.tipeee.com/johan-scipion-raconte-sombre) et il était convenu que je poste de mon coté cet entretien sur le blog plus tard.

Le voici donc :

- Salut Johan.
Hello monsieur Groumph.

 Pour faire simple, Sombre est un jeu de rôle d'horreur édité en indépendant par ta propre association Terres Etranges au format fanzine. Tu n'es pas avare d'interviews et je ne vais pas revenir sur la genèse de Sombre, qui doit beaucoup à Kult (dont on se sait tous les deux fans). Tu es également productif : nous en sommes à neuf numéros auxquels il faut ajouter plusieurs hors-séries. Si le premier numéro de Sombre date de 2011, tu bosses depuis plus longtemps que ça sur le projet.
 - Tu as presque tout bon. Oui, je suis gros fan de Kult, dont Sombre est un héritier direct. Oui, le premier numéro de ma revue date de 2011, mais je travaille sur le jeu depuis le milieu des années 90. Depuis en fait que j'ai rencontré Kult (dans sa traduction Ludis) et me suis découvert incapable de le mener by the book. C'est en le bidouillant que j'ai fini par écrire mon propre jeu. Oui, nous en sommes à neuf numéros réguliers + trois hors-séries (je travaille en ce moment sur le quatrième), soit en tout douze références. Oui, j'ai créé une association pour publier mon jeu, mais je l'ai depuis upgradée en très petite entreprise de façon à pouvoir me rémunérer sur les ventes. Sombre est donc désormais officiellement mon métier. En vrai, cela fait déjà longtemps qu'il l'est, mais maintenant, il me rapporte des sous. Enfin, un peu. 

- Quand tu te retournes sur ce que tu as déjà fait, de quoi es-tu le plus fier concernant la gamme Sombre ? Un numéro ou un article en particulier ?
 -Arf, je ne vais pas pouvoir répondre à cette question de la manière dont tu l'espères. Parce que ce n'est pas de cette façon que je conçois Sombre. En tant qu'éditeur, j'ai par la force des choses une approche séquentielle : un article après l'autre, un scénario après l'autre, un système après l'autre, un sommaire après l'autre, un numéro après l'autre. Mais c'est une vision très réductrice et pour tout dire assez platement commerciale. Pas que je crache dessus, hein, le commerce est ce qui me fait vivre. Mais Sombre est un jeu avant d'être un produit, une œuvre de l'esprit comme disent les juristes. En tant qu'auteur et meneur, j'en ai une vision nettement plus holiste, même si encore nébuleuse sur bien des points. Le jeu n'a pas atteint son plein développement, il continue de pousser dans de nombreuses directions. N'empêche, je m'en fais au global une idée relativement précise. Il m'a fallu plusieurs années pour en arriver là. Au départ, c'était très parcellaire.

Le Sombre que je mène est plus riche que celui qu'on trouve actuellement dans le commerce. Il y a tout un tas d'aspects du jeu qui sont des réalités à ma table depuis des années et qui attendent encore d'être publiés sous forme d'articles ou de scénarios. Du coup, travailler sur la revue ne me donne pas du tout l'impression d'enchaîner des stand-alones, que je pourrais facilement considérer individuellement. Je suis dans une dynamique de mosaïque : je place une tesselle à côté de l'autre pour que l'ensemble constitue un grand dessin. De mon point de vue d'auteur, examiner chaque texte ou numéro séparément pour évaluer leurs mérites respectifs ne fait pas tellement sens. À mes yeux, c'est leur imbrication qui est signifiante. Par contre, je comprends tout à fait que mes lecteurs, eux, comparent. Particulièrement lorsqu'ils se demandent quoi acheter. Leur perspective est différente de la mienne, c'est bien normal.


- Qui appelle la lumière a forcément connu les ténèbres, pas vrai ? Tu regrettes quelque chose dans la gamme ? Et pourquoi donc ?
-Je ne regrette que dalle. Tant qu'une tesselle ne me plait pas, je ne la pose pas sur ma mosaïque. Je la retaille jusqu'à ce qu'elle me convienne. Ce n'est qu'à ce moment que je la mets dans la revue. Pour te donner un exemple, ma première partie de Sombre max date de 2012. Or je n'ai publié ce système qu'il y a quelques mois. Éditorialement parlant, ce luxe est inouï. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai choisi de bosser en indépendant. Pouvoir décider moi-même de ce qui est publiable, et quand. Être mon propre rédac-chef, rêve devenu réalité du pigiste que je fus longtemps. Un bonheur de chaque instant.

 - Je t'imagine bien dans ton atelier malsain avec des bouts de cadavres pendus autour de ton ordinateur en train de faire des statistiques sur Sombre. Entre nous : quel numéro a eu le plus de succès ? Et quel est celui qui marche le moins ? Tu connais les raisons de ces résultats ?
 - Aaaah, la boucherie et la comptabilité, les deux mamelles de Sombre ! En vrai, mon atelier est partagé entre un bureau des plus banals et une cuisine tout aussi ordinaire. C'est là que je playteste avec mes potes. Pour répondre à ta question, le modèle économique de Sombre est parfaitement commun. C'est celui qu'on peut attendre de tout produit culturel à publication périodique, comic book, magazine ou gamme de jeu de rôle.

+ Les livres de base se vendent mieux et plus longtemps que les suppléments. Pour ce qui est des deux premiers en tout cas. Je n'ai pas encore assez de recul sur Sombre 9 pour savoir si ses chiffres seront comparables à ceux de Sombre 1 et 6. Je l'espère bien sûr, mais seul le temps me le dira. Cette asymétrie correspond au modèle rôliste standard. Dans pas mal de gammes de jeu de rôle, les suppléments servent surtout à soutenir et relancer les ventes du livre de base, qui est le produit sur lequel l'éditeur fait sa plus grosse marge. La particularité de Sombre, et sa difficulté, est que ses livres de base sont au même prix que ses suppléments. J'y tiens parce que je veux que le jeu reste accessible au plus grand nombre, notamment aux jeunes rôlistes, mais c'est commercialement très suboptimal. Il s'agit de l'une des raisons pour lesquelles j'ai du mal à vivre de mon activité.


+ Pour ce qui est des suppléments, les petits numéros se vendent mieux que les gros. Standard là aussi. C'est pour cela par exemple que ces derniers temps, les éditeurs de comics rebootent en permanence leurs titres. Quand j'étais gamin, j'achetais des comics à trois chiffres. Aujourd'hui, dès qu'on passe trente ou quarante numéros, boom!, on arrête tout pour faire un relaunch. Je n'en suis pas encore à me poser ce genre de questions, mais l'infléchissement des ventes à mesure du développement de la gamme est déjà sensible. Et il ne va faire que s'accentuer. C'est une frustration, je l'avoue. Je ne parle pas du volet strictement commercial, qui est attendu, mais de l'aspect plus globalement créatif. Je souffre d'avoir plus de mal à vendre mes suppléments les plus récents car je pense que la qualité éditoriale est en hausse. Je peux me planter, hein, on n'est pas forcément bon juge de son propre travail, mais je pense que les derniers numéros sont beaucoup mieux branlés. J'ai le sentiment d'avoir pexé dans l'organisation des contenus, de sorte que leurs sommaires sont mieux foutus que ceux des premiers. Le hic est que pas mal de lecteurs ne s'en rendront jamais compte parce qu'ils n'iront pas jusque là. Ça me criiispe, mais c'est la vie.

+ Les numéros réguliers se vendent mieux que les hors-séries, dont la durée de vie commerciale est très courte. Ce qui est normal car ils s'adressent aux hardcore fans de Sombre, qui sont en nombre limité. Les lecteurs moins accrochés par le jeu se contentent des numéros réguliers. Tous ou seulement quelques uns, selon leur budget, besoins et envies.

+ Le matos de jeu se vend mieux que la littérature horrifique. Là encore, rien d'étonnant vu que je tourne surtout dans le JdR. Il y a une certaine porosité avec le fandom littéraire, pas mal de rôlistes étant biclassés gros lecteurs, notamment dans le domaine des cultures de l'imaginaire, mais c'est loin d'être suffisant pour faire décoller mon recueil de nouvelles (Sombre HS1). Pour le vendre plus, il faudrait que je tourne aussi dans les conventions et festivals littéraires, mais je n'ai pas de réseau et guère le temps de m'en constituer un. Le jeu de rôle m'accapare beaucoup.


- Sombre est un travail de tous les instants. As-tu connu des moments de doute depuis que tu t'es lancé là-dedans ? Un moment où tu t'es dit que c'était trop compliqué ?
- Clair que ce n'est pas facile tous les jours. Sombre est un long marathon créatif. Sans repos, sans interruption, sans petit break. Et cela depuis 2011. Ce dont je ne vais pas me plaindre, vu que je l'ai choisi, et qu'en fait, c'est juste génial que huit ans plus tard, cela dure encore. C'est supra cool, et c'est aussi un supra gros taf. Ce qui me fait tenir ? 1/ La passion. 2/ Le professionnalisme. Par bonheur, ils ne sont pas incompatibles. Sombre est un putain de plaisir et un putain boulot. Ça synergise grave.

Quand je mène mon jeu, quand je l'écris, quand je le publie, quand je le promeus (comme maintenant, tandis que j'écris ces lignes), je t.r.a.v.a.i.l.l.e. C'est un boulot qui m'éclate, et je souhaite à quiconque de trouver à s'épanouir autant que moi dans son activité professionnelle, mais ça reste un boulot. Une fois que tu as bien intégré cet aspect, je veux dire que tu l'as *vraiment* bien intégré (et en un quart de siècle, particulièrement depuis 2011, j'ai eu le temps de m'y faire), ça te facilite la gestion du court, du moyen et du long terme. Si tu fonctionnes sur le mode de la passion pure, tu ne cherches que le plaisir. Quand tu es en même temps en mode boulot, tu acceptes mieux les contraintes liées à l'activité. Parce que la contrainte est la définition même du boulot. Cela m'a aidé à trouver ma vitesse de croisière.

J'ai des emmerdes ? Ouais, j'en ai. J'ai des doutes ? Ouais, j'en ai. J'ai des appréhensions ? Ouais, j'en ai. Mais comme n'importe qui dans son travail. Et comme tout le monde, je serre les fesses et relève mes manches. Y'a juste pas de secret : pour avancer, faut bosser. Et pas par à-coups, quotidiennement. C'est une course de fond, raison pour laquelle j'ai voulu que Sombre devienne mon métier. Je n'aurais pas pu le faire en loisir ou en dilettante. Le projet aurait vite capoté.

Présentement, j'en suis à douze tours de stade, deux par an, et je veux que ça dure encore longtemps. Du coup, je dose mon effort et essaie de ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Pour te donner un exemple concret, j'ai publié Sombre 6 et HS1 en même temps. Je ne veux plus le refaire, du moins pas de cette manière. Enchaîner deux bouclages fut vraiment trop dur. Des gens me disent « Johan, tu devrais faire-ci, et puis ça, et puis ça encore. Et tu verras que Sombre va y gagner ». Ils sont plein de bonnes intentions et leurs idées sont souvent très intéressantes, mais la vérité est que je n'ai que 24 heures par jour et 7 jours par semaine. Pour tenir la distance, j'y vais à mon rythme. Et je priorise.


- Sombre se veut générique et veut couvrir au maximum l'univers étendu des films d'horreur. Pour l'instant il y parvient, mais n'importe quel fan de ce genre cinématographique verrait des manques. Le splatter / comique par exemple ou le pornsoft, le porn and revenge, etc. Ce sont des genres certes bien à part mais qu'on peut néanmoins rattacher au cinéma horrifique. Autant que Predator, que le dernier numéro de Sombre cherche à émuler. Tu comptes les aborder un jour ou soigneusement les éviter ? Et pourquoi donc ?
 - Rien de ce qui est horrifique n'est étranger à Sombre. Tout ce qu'on peut voir dans un film d'horreur a vocation à se retrouver dans la revue. D'un autre côté, Sombre, tout générique soit-il, est un jeu d'auteur, c'est-à-dire qu'il exprime un point de vue personnel. Or comme tout fan, j'ai mes goûts et mes couleurs, qui m'orientent plus volontiers vers tel ou tel sous-genre. Par là-dessus, il faut ajouter certaines contraintes éditoriales, notamment le souci de produire des sommaires attractifs en associant des textes qui fonctionnent bien les uns avec les autres. Tout cela concourt à façonner la revue.

Pour être plus précis, et parce que je crois comprendre qu'en fond, ta question peut se résumer à « Sombre sera-t-il à l'avenir plus extrême qu'il ne l'est déjà ? », ma réponse est que ce n'est pas un concours. Tu me parles cul et gore. Il y a déjà eu des inserts de ce type dans la revue, et il y en aura probablement encore, parce que cela fait partie de l'horreur cinématographique. Cela dit, je ne cherche pas par principe à repousser les limites. La provoc n'est carrément pas mon kif.

Quand j'écris ou mène, j'ai simplement le souci d'être juste. Pas au sens « bon », au sens « approprié ». Je m'efforce de faire ce que je juge adéquat. Ce qui convient au sous-genre horrifique que j'explore, aux règles du système Sombre que j'utilise, à l'histoire que nous racontons ensemble, aux personnages (PJ et PNJ) que nous interprétons, et bien sûr aux joueurs eux-mêmes. Je me fous de faire plus gore, plus cul, plus whatever. Je cherche le point d'équilibre horrifique de chacune de mes parties. Qu'elles soient improvisées ou menées d'après un scénario, trouver le bon dosage n'est jamais simple. Souvent, j'y échoue. Ce n'est pas grave. L'important et de faire l'effort de tendre à l'équilibre parce que cela tire le jeu vers le haut.

Il faut aussi prendre en compte les limites intrinsèques au média jeu de rôle. Le porno et le splatter sont à mon sens des expressions très audiovisuelles. Voire très visuelles, l'audio ne servant souvent que de faire-valoir à l'image. Je n'ai pas l'impression que ce soit quelque chose que le jeu de rôle fait particulièrement bien. Sans support visuel, le cul et le gore sont moins efficaces. En insert, passe encore. Sur toute une partie par contre, c'est peu convainquant. Moi en tout cas, j'ai du mal car j'arrive très vite au bout de ce dont je suis capable en termes de descriptions. Une scène, ça va. Deux ou trois de suite, je me répète et cela perd tout relief.

Je ne sais pas si par « porn and revenge » tu entends « rape and revenge ». Tu confonds peut-être avec le « revenge porn », qui relève du délit, pas de la fiction cinématographique. Si tu parles bien du rape and revenge, le sous-genre m'intéresse, surtout dans sa déclinaison horrifique. Comme le vigilante movie d'ailleurs. La vengeance est un thème puissant, facilement exploitable en jeu de rôle d'horreur. D'ailleurs, l'un des épisodes de ma campagne The man who shot the sixties, dont j'ai publié le compte rendu dans Sombre HS3, relève du rape and revenge. L'un de ses arcs narratifs en tout cas. Il s'agit, je l'ai expliqué dans mon texte, de l'un des passages de la campagne qui m'a le plus durablement marqué.

Pour ce qui est du splatter, la première scène de White trash (Sombre 4), qui donne le ton de l'ensemble du scénario, est pile-poil dans le cadre. Quant au soft porn, il ne faut pas chercher plus loin que La nuit sans été (Sombre 7). À ma table en tout cas, ça a pas mal forniqué en mode plus ou moins explicite. Reste la comédie horrifique, dont relève en vérité une part non négligeable de ma production. Je suis d'un naturel ironique, cela transparaît dans la manière dont j'écris et mène Sombre. Je fais des blagounettes, et parfois me laisse aller à la satire, comme dans A man after midnight (Sombre 8), qui est à la fois un vrai slasher old school et une vraie parodie de slasher old school.


-Neuf numéros plus les hors-séries, ça commence à faire. Tu comptes nous préparer un numéro spécial pour le dixième ? Tu fêtes de quelle façon les anniversaires de Sombre, si anniversaire il y a ? 
- Je ne fête rien du tout parce que je suis moins intéressé par le chemin parcouru que par celui qu'il me reste à parcourir. Quand tu regardes plus le passé que le futur, c'est que t'es déjà un peu mort. Or Sombre est bien vivant. Je dirais même « It's aliiiive ! ». Du coup, les annivs et les commémos me passent au-dessus de la tête. Sans compter que de mon point de vue d'auteur, j'en suis au douzième numéro. En terme de travail, il n'y a pas de différence entre un régulier et un hors-série. Dans les deux cas, 72 pages à remplir de textes et d'aides de jeu que je souhaite les plus intéressants et les plus carrés possible.


- D'ailleurs pourquoi des hors-séries ? Si ça me paraissait compréhensible pour le premier, qui est simplement un recueil de nouvelles signées de ta main, les autres me paraissent bien utiles. Qu'est-ce qui te pousse à en faire des hors-séries ? Et comment tries-tu les articles qui vont dans les numéros réguliers et ceux qui vont dans les hors-séries ?
 - Oooh, j'aime beaucoup la décontractitude avec laquelle tu sépares le bon grain (le matos de jeu, utile) de l'ivraie (les nouvelles, dispensables). T'es un vrai de vrai rôliste, mon cher Groumph ! Plaisanterie mise à part, et au regard de tes questions précédentes, je ne saurais trop te conseiller de jeter malgré tout un œil à mes nouvelles. Si tu cherches du Sombre plus explicite/extrême, c'est là que tu vas le trouver.

Pour ce qui est des deux autres hors-séries, je suis fort aise de constater qu'ils te font envie parce qu'en fait, tu es le cœur de cible. Ces numéros s'adressent aux hardcore fans, ceux qui n'en veulent grave du Sombre. L'idée est que si tu aimes le jeu, mais pas à la folie, tu lâches dix balles par an pour suivre la gamme régulière. Si tu es vraiment bien accroché, tu doubles la mise pour récupérer également le hors-série de l'année. Dans le numéro régulier, l'essentiel. Dans le hors-série, du moins essentiel mais cool quand même. Des exemples pour être plus clair ? À mon sens, le setting Indian Lake (S8) est indispensable à tout meneur de Sombre qui se respecte. Super utile de plein de manières différentes. On peut par contre vivre sans lire le compte rendu de la campagne que j'y ai improvisée (HS3). Mais si on le fait, il y a bien des chances qu'on y trouve de l'inspiration pour ses propres parties. Dans le même ordre d'idées, je pense que le story deck (S7) est incontournable. C'est un gros bout de Sombre. Du mini deck et du casting minute (HS2), on peut plus facilement se dispenser. N'empêche qu'ils sont l'un et l'autre vachement fun.


- Johan version non auteur ça donne quoi ? Tu réussis à avoir une vie à coté de tout ça ? Tu bossais dans quoi avant d'être auteur a plein temps ? On t'a vu signer des piges ou des scénarios à droite ou à gauche. Tu as évolué dans d'autres domaines que l'écriture ?
 -Oui, j'ai une vie en dehors du boulot, et je la kiffe. Et oui aussi, je fus pigiste en presse spécialisée (cultures de l'imaginaire, jeux, musique, cinoche, bande dessinée, tout ça) avant de me lancer à corps perdu dans Sombre. Avant encore, j'ai fait quelques petits boulots anecdotiques.


- D'ailleurs, le Johan non auteur, il vient d'où ? Comment était l'enfant qui est arrivé aux JdR ? Et comment et à quel âge s'est déroulé ton premier contact avec les jeux de rôles ?
 - Mon parcours rôliste est parfaitement banal, c'est celui de la majorité des pratiquants de ma génération. Ses jalons signifiants au regard de ma production actuelle sont Chill (auquel j'ai joué ado), Simulacres (qui m'a fait passer de l'autre côté de l'écran), et Kult (dont Sombre est le produit direct).


- En parlant « autre » jeu de rôle, tu en lis encore beaucoup ? Quels sont ceux que tu apprécies, qui t'interpellent et pourquoi ? 
- Je me tiens au courant des sorties pour ne pas avoir trop l'air d'un vieux con quand on me parle de l'actualité rôliste en convention, mais lis très peu de matériel ludique. En majorité des kits de démo. D'abord, il y a une question budget. Bouquiner du jeu de rôle est super cool, mais coûte pas mal de sous. Or j'ai d'autres priorités, me chauffer en hiver par exemple. Ensuite, le fait que, par goût autant que contrainte professionnelle, je ne mène actuellement que mon jeu. Du coup, je n'ai pas de besoin ludique que Sombre ne satisfasse.


Quid de l'inspi, demandes-tu ? La lecture qui donne des idées. En vérité, je les puise plus volontiers dans la fiction cinématographique, télévisuelle et littéraire. Pour ce qui est du jeu, Sombre a acquis depuis un bon moment sa propre dynamique, cohérence et logique interne. Au tout début, quand je me posais une question technique, mon premier réflexe était d'ouvrir Kult pour voir comment Johnsson et Petersen traitaient la question. Mais cela fait bien longtemps que j'ai perdu cette habitude.


Au début du millénaire, tandis que je travaillais à m'émanciper de Kult, j'ai ressenti le besoin de faire un état des lieux du jeu de rôle d'horreur. Il fallait que je me fasse une idée assez précise de ce que proposaient mes confrères pour pouvoir me positionner par rapport à eux. J'ai donc acheté plein de jeux et de suppléments, une masse de matos qu'il m'a fallu plusieurs années pour digérer. Quand ce fut fait, j'ai quasi tout revendu.

C'était il y a plus de quinze ans et depuis, je n'ai pas racheté grand-chose. Alors aujourd'hui, je suis totalement largué. C'est ce qui explique que je ne cause que de Sombre. J'évite d'ouvrir ma grande bouche sur les autres jeux parce que je dirais des bêtises grosses comme moi.


- Sombre, on le sait, vient de ton amour pour le cinéma de genre. Quels sont les films que tu cites quand tu parles de Sombre ? Et quels sont tes films préférés ? Si ce ne sont pas les mêmes, pourquoi ?
-Ça, c'est le pur marronnier. La question qu'on me pose quasi une interview sur une. Avant, je me creusais les neurones pour y répondre. Maintenant, j'élude. Ceci pour deux raisons. D'une, le jeu commence à parler de lui-même. Au point où la gamme en est rendue, mes goûts en matière de cinéma d'horreur sont devenus évidents. Je pense que tout le monde s'est aperçu que j'apprécie les prods des années 70 et 80. Je précise à l'intention de ceux parmi tes lecteurs qui n'auraient jamais parcouru un numéro de Sombre, que chacun de mes scénarios s'ouvre sur une section Références. J'y liste les œuvres, pour la plupart des films et des livres, desquelles je me suis inspiré. Je ne suis pas toujours überfan de tout ce que je cite, mais si je mentionne telle péloche ou tel bouquin, c'est en général que j'y trouve un intérêt quelconque.

La deuxième raison pour laquelle je ne m'étends plus trop sur mes goûts cinématographiques est que j'ai réalisé qu'en matière d'horreur, je suis devenu hyper bon public. Et c'est rien que de la faute à Sombre ! À la base, fan lambda que je suis, j'avais mes kifs. Mes films et sous-genres préférés. Puis je me suis mis en tête d'écrire un jeu d'horreur générique. Pas seulement un système, aussi des scénarios qui réalisent très concrètement cette promesse de généricité. En douze numéros, j'en ai publié pas mal dans moult sous-genres. Et c'est sans compter un bon paquet d'autres, encore inédits. Last but not least, j'ai commencé à improviser tout un tas de parties. Mais vraiment plein, des dizaines et des dizaines. À chaque fois, en m'appuyant sur le brainstorming de mes joueurs. Leurs goûts en matière de fiction horrifique se sont donc invités à ma table, et j'ai pris grand plaisir à les explorer.

Résultat, maintenant j'aime un peu tout. Le slasher par exemple. Comme je l'ai expliqué dans l'édito de Sombre 8, ce n'était pas mon sous-genre préféré lorsque j'étais gamin. Mais depuis que j'en ai écrit deux pour Sombre et les ai menés plein de fois à ma table, ben je surkiffe. Le jeu de rôle, mon bon monsieur, c'est rien que de l'ouverture culturelle.


- Avec Lovecraft, on sait que tu as une culture littéraire très étendue. Je citerais simplement l'excellent scénario La nuit sans été, qui s'inspire non pas des écrits de Shelley ou Byron, mais de l'excellentissime Le Poids de son regard de Tim Powers. J'imagine que tu as lu du Barker, du King et peut-être du Masterton aussi. Quels sont tes auteurs de prédilection ?
 - Même réponse que pour le cinoche, la question de mes goûts littéraires en matière d'horreur étant en fait le deuxième marronnier Sombre. Un joli spare, monsieur Groumph.


- D'ailleurs, Johan regarde des films d'horreur. Johan écrit des machins d'horreur. Johan écoute de la musique aussi ? Laquelle ?
 - J'ai un socle pop, rock et metal assez solide, avec des ouvertures plus ou moins franches côté goth, punk, electro et rap. Plus des machins divers et variés, sur lesquels je tombe au détour de mes errances youtubesques. Y'a un quintal de trucs nazes sur ToiTube, mais musicalement, cette plateforme est juste géniale. Je ne pense pas que les jeunes de maintenant se rendent compte à quel point ils ont de la chance de disposer d'un tel outil de découverte. Putain, j'aurais surkiffé à leur âge.

 - Tu as ouvert un compte Tipeee, un site de financement participatif où les fans de Sombre peuvent soutenir le projet en échange de contreparties régulières de ta part. Comment sélectionnes-tu les comptes rendus destinés à Tipeee ? 
- Je publie sur Tipeee tout ce qui ne risque pas de spoiler la revue. En ce moment par exemple, je travaille sur des settings, que je publierai dans de futurs numéros de Sombre. Je les teste en mode semi quickshot (de l'impro dans un décor préconstruit) et rédige des comptes rendus, mais n'en fait pas de contreparties parce que je veux conserver au fanzine toute sa fraîcheur.

- Il y a les revues, Tipeee, et je crois savoir aussi que tu es disponible pour des évènements ponctuels type animation d'anniversaires ou autres. Finalement, financièrement tu t'en sors avec le boulot d'auteur ou c'est vraiment compliqué ?
 Je gagne actuellement quelques centaines d'euros par mois avec Sombre, toutes activités confondues. Ce n'est pas tout à fait suffisant pour en vivre décemment, surtout en région parisienne, où la vie est assez chère, mais j'ai le bonheur d'être soutenu par mes proches, donc ça va. Je ne me plains de rien. Cette situation, pour précaire qu'elle puisse paraître, est déjà tout à fait inespérée. Je veux dire, on m'aurait annoncé il y a dix ans qu'un jour Sombre me ferait (sur)vivre, je n'y aurais pas cru. Bon, cela ne durera sans doute pas des mille et des cent. À moyen terme, l'avenir est, comment dire, sombre. Comme je l'expliquais tout à l'heure, le modèle économique de la revue n'est pas des plus optimaux. Mais je m'y accroche tant que peux parce qu'elle m'éclate positivement. J'adore ce putain de fanzine ! Tant que j'arrive à en tirer quelques sous, c'est juste royal. Il n'y a pas beaucoup d'auteurs rôlistes francophones qui peuvent se permettre de consacrer tout leur temps de travail à leurs jeux. Je réalise pleinement la chance exceptionnelle qui est la mienne, et en remercie les fans de Sombre, ceux qui achètent la revue et/ou me soutiennent sur Tipeee. 

Big up les gars et les filles. Si j'en suis là, c'est uniquement grâce à vous.


- Classic, Zéro et Max, trois variantes pour un même système. De ton propre aveu tu ne feras plus de variantes. Alors, Sombre ça sent le sapin ? C'est quoi l'avenir de la gamme ?
- Écoute, un jeu d'horreur qui sent le sapin, ça me semble plutôt une bonne nouvelle. Plus sérieusement, je ne prévois effectivement pas d'autre livre de base. Il ne faut jamais dire jamais parce que personne n'est à l'abri d'une épiphanie rôliste, mais je n'ai pas de projet de cet ordre. Par contre, je ne m'interdis pas les sous-variantes. Il se pourrait d'ailleurs que je sois en train de bosser sur l'une d'elles. Et puis, comme je le disais, j'ai des envies de settings. Il n'y aura jamais un seul gros univers officiel pour Sombre car cela contredirait violemment son postulat de généricité horrifique, mais j'apprécie de plus en plus les textes à la Indian Lake (S8). Des décors un peu fouillés, mais pas trop, vastes juste ce qu'il faut, dans lesquels on peut facilement jouer un, deux, trois one-shots, voire une petite campagne (HS3). Sans virer à l'encyclopédie imaginaire, ils donnent pas mal de billes aux meneurs pour improviser ou écrire leurs scénars.
  
- D'ailleurs, on constate suite à ces multiples questions que tu vis Sombre à 666% T'en as pas un peu marre des fois ? Tu penses passer à autre chose un jour ? Et ce serait quoi ?
- Je n'ai d'autre plan d'avenir que Sombre et la littérature d'horreur. Il va sans dire que je ne sais pas du tout où l'un et l'autre vont me mener. L'incertitude est le propre des professions créatives. J'ignore jusqu'à quand je vais pouvoir continuer à faire ce que je fais, mais tant que je gagne, je joue. Même si au niveau financier, ce n'est pas l'Annapurna, je suis conscient de vivre les meilleures années de ma carrière. Sombre est mon dream job.

- Un petit mot pour les projets autour de Sombre. J'entends par là Extinction, Millevaux et Cthulhu DDR. Tu as joué à tous ? Qu'en penses-tu ? On t'en propose souvent ? Tu sélectionnes ces boulots de fans de quelle façon ?
 - Je ne sélectionne rien du tout. Je suis très attentif aux productions fan made, mais sauf très rares exceptions, n'opère aucun tri. Je n'aime pas censurer. Des fans postent leur taf sur le forum de Sombre, certains avec tellement d'acharnement qu'ils finissent par s'y tailler une section pour eux tous seuls. C'est ce qui est arrivé récemment à DeathAmbre avec son label DarkFarm. Quant aux projets dont tu parles, ils débordent carrément du forum.

Millevaux dans sa déclinaison Sombre est une création de Thomas Munier. Un univers post apo forestier et lovecraftien, exploré en mode survival horror. Cthulhu DDR est le projet de Thierry Salaün. Un croisement hautement improbable mais carrément jouissif entre l'Allemagne de l'Est des années 60, le Mythe de Cthulhu et Sombre. Et pis y'a des goules dedans. Quant à Extinction, cet univers est de ma main. De l'apocalyptique marin et lovecraftien pour jouer après le réveil de Cthulhu. Mad Max dans la flotte avec des gros monstres marins super agressifs. Son cadre général est paru dans Sombre 2.

Je n'ai joué dans aucun de ces dark worlds. Pour Millevaux Sombre et Cthulhu DDR, rien de plus logique, vu que ces dernières années, je n'ai mené, par nécessité et goût, que mon propre matériel. Pour Extinction, l'explication est différente. Avant que je ne l'intègre à Sombre, le projet était un supplément amateur à L'Appel de Cthulhu. Nous étions une petite douzaine d'auteurs et d'illustrateurs à le porter à bouts de bras. Je m'y suis personnellement beaucoup investi, au point que, par de nombreux aspects, il m'a servi de banc d'essai pour Sombre. Sans Extinction, les Personnalités n'existeraient sans doute pas. Il a malheureusement fallu que je le mette en veille pour me dégager du temps de travail. Mener ce projet de front avec Sombre était impossible. Or nous n'avions pas encore atteint le stade des playtests. Cela explique que je n'aie publié que son cadre général dans Sombre 2. N'empêche que l'idée de le mener me gratte toujours. N'est pas mort qui à jamais dort, n'est-ce pas. On verra si j'arrive à caser ça dans mon emploi du temps de ministre.

- D'ailleurs, avec Extinction, Cthulhu DDR, et jusqu'au scénario du dernier numéro (Sombre 9), Lovecraft et son pote poulpe ont l'air de faire partis de cet univers horrifique. Stuart Gordon et Yuzna ont fait aussi pas mal d'essais cinématographiques sur le Grand Ancien et ses potes. Qu'est-ce que tu trouves de si fascinant dans le Mythe ?
 - Pas grand-chose, j'avoue. La mythologie lovecraftienne et son bestiaire me laissent assez froid. Même si j'apprécie beaucoup certains de ses thèmes (le cosmos indifférent, les dieux crétins, l'Apocalypse imminente), cette cosmogonie me branche bien moins que celle de Kult par exemple. De manière générale, l'esthétique lovecraftienne me glisse dessus. Les tentacules sont cool. Graphiquement, ça claque, et ce n'est pas Mignola qui me contredira. Mais les cônes à pédoncules, les barriques à tête de fleur, les crabes roses et les géants verts gélatineux façon poulpe sont beaucoup trop pulp et kitsch pour moi. J'accroche pas. Pas taper, hein. Goûts, couleurs, tout ça. Y'a juste une exception, les shoggoths. Ah la vache, les shoggoths sont trop trop bien ! Mais ce n'est pas tant à cause de Lovecraft que je les aime, que grâce à Carpenter et Bottin. Rhâââ mais putaiiin, la tête à pattes, quoi ! Laaa. Têêête. Ààà. Paaattes. Traumatisé à vie par The Thing.

Ce n'est pas le Mythe qui me fascine chez Lovecraft. Je ne le déteste pas non plus, hein. Je le considère simplement comme un outil, qui à mon avis gagne à être utilisé avec une certaine retenue. Tu remarqueras que, à l'imitation de ce qu'a fait Tynes dans Delta Green, j'ai évacué d'Extinction 99 % du bric-à-brac lovecraftien. Quant à L'appel du bayou, mon scénario d'initiation à Sombre max paru dans Sombre 9, il met également de côté toute référence à Cthulhu lui-même, alors qu'il est directement adapté d'un chapitre de la nouvelle qui porte son nom. Savoureux paradoxe. Nan, ce qui me plaît surtout chez Lovecraft, ce sont ses histoires et ses ambiances, dont la puissance transcende leur arrière-plan Mythique et leur monster design un peu plastoc. Un siècle plus tard, ça reste de la très bonne came horrifique. Et aussi, tout prétextes à récit soient-ils souvent, j'aime certains de ses personnages. En particulier, je trouve à HPL un vrai talent pour l'onomastique qui claque. Or c'est un truc qui compte vachement pour moi.


- Un mot pour conclure ? 
-Géranium.



Les Sources :



2 commentaires:

Anonyme a dit…

Trés bon interview, très intéressant ! Bravo et merci à vous ! ca donne envie d'y jouer encore plus !

Anonyme a dit…

En effet super intéressant !

klab