Salut à toi.
Johan est un auteur de jeu de rôles indépendant et autonome. Vui monsieur, c’est tout comme je te le dis. Mais dans le monde du jdr (qui parfois se tape le coquillard de l'indépendance éditoriale et de tout ces trucs qui font réfléchir) Johan c'est surtout l'auteur de l'inénarrable et indétrônable Sombre, le jeu de rôle qui, en plus de te faire peur comme au cinéma, repense et repose les bases de ce fantastique loisir en une poignée de numéros.
Oulà, tout de suite ça en jette hein ? Ouais mais le pire c'est que c’est vrai.
Et comme Johan, sous ses airs de serial killer à tendances nécrophiles c'est aussi un mec bien sympa, nous nous sommes prêtés, lui et moi, au jeu de l'interview. On a bien rigolé pour cet exercice et il sera probablement renouvelé d'ailleurs. En parlant de ça s'il te vient des questions n’hésites pas à me les faire parvenir afin que je les compile pour un futur second entretien.
Bref. Le résultat fut publié sur le Tipeee du monsieur (là : https://fr.tipeee.com/johan-scipion-raconte-sombre) et il était convenu que je poste de mon coté cet entretien sur le blog plus tard.
Le voici donc :
Johan est un auteur de jeu de rôles indépendant et autonome. Vui monsieur, c’est tout comme je te le dis. Mais dans le monde du jdr (qui parfois se tape le coquillard de l'indépendance éditoriale et de tout ces trucs qui font réfléchir) Johan c'est surtout l'auteur de l'inénarrable et indétrônable Sombre, le jeu de rôle qui, en plus de te faire peur comme au cinéma, repense et repose les bases de ce fantastique loisir en une poignée de numéros.
Oulà, tout de suite ça en jette hein ? Ouais mais le pire c'est que c’est vrai.
Et comme Johan, sous ses airs de serial killer à tendances nécrophiles c'est aussi un mec bien sympa, nous nous sommes prêtés, lui et moi, au jeu de l'interview. On a bien rigolé pour cet exercice et il sera probablement renouvelé d'ailleurs. En parlant de ça s'il te vient des questions n’hésites pas à me les faire parvenir afin que je les compile pour un futur second entretien.
Bref. Le résultat fut publié sur le Tipeee du monsieur (là : https://fr.tipeee.com/johan-scipion-raconte-sombre) et il était convenu que je poste de mon coté cet entretien sur le blog plus tard.
Le voici donc :
- Salut Johan.
Hello monsieur Groumph.
- Quand tu te retournes sur ce que tu as déjà fait, de quoi
es-tu le plus fier concernant la gamme Sombre ? Un numéro ou un article en
particulier ?
Le Sombre que je mène est plus riche que celui qu'on trouve
actuellement dans le commerce. Il y a tout un tas d'aspects du jeu qui sont des
réalités à ma table depuis des années et qui attendent encore d'être publiés
sous forme d'articles ou de scénarios. Du coup, travailler sur la revue ne me
donne pas du tout l'impression d'enchaîner des stand-alones, que je pourrais
facilement considérer individuellement. Je suis dans une dynamique de mosaïque
: je place une tesselle à côté de l'autre pour que l'ensemble constitue un
grand dessin. De mon point de vue d'auteur, examiner chaque texte ou numéro
séparément pour évaluer leurs mérites respectifs ne fait pas tellement sens. À
mes yeux, c'est leur imbrication qui est signifiante. Par contre, je comprends
tout à fait que mes lecteurs, eux, comparent. Particulièrement lorsqu'ils se
demandent quoi acheter. Leur perspective est différente de la mienne, c'est
bien normal.
- Qui appelle la lumière a forcément connu les ténèbres, pas
vrai ? Tu regrettes quelque chose dans la gamme ? Et pourquoi donc ?
-Je ne regrette que dalle. Tant qu'une tesselle ne me plait
pas, je ne la pose pas sur ma mosaïque. Je la retaille jusqu'à ce qu'elle me
convienne. Ce n'est qu'à ce moment que je la mets dans la revue. Pour te donner
un exemple, ma première partie de Sombre max date de 2012. Or je n'ai publié ce
système qu'il y a quelques mois. Éditorialement parlant, ce luxe est inouï.
C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai choisi de bosser en indépendant.
Pouvoir décider moi-même de ce qui est publiable, et quand. Être mon propre
rédac-chef, rêve devenu réalité du pigiste que je fus longtemps. Un bonheur de
chaque instant.
+ Les livres de base se vendent mieux et plus longtemps que
les suppléments. Pour ce qui est des deux premiers en tout cas. Je n'ai pas
encore assez de recul sur Sombre 9 pour savoir si ses chiffres seront
comparables à ceux de Sombre 1 et 6. Je l'espère bien sûr, mais seul le temps
me le dira. Cette asymétrie correspond au modèle rôliste standard. Dans pas mal
de gammes de jeu de rôle, les suppléments servent surtout à soutenir et
relancer les ventes du livre de base, qui est le produit sur lequel l'éditeur
fait sa plus grosse marge. La particularité de Sombre, et sa difficulté, est
que ses livres de base sont au même prix que ses suppléments. J'y tiens parce
que je veux que le jeu reste accessible au plus grand nombre, notamment aux
jeunes rôlistes, mais c'est commercialement très suboptimal. Il s'agit de l'une
des raisons pour lesquelles j'ai du mal à vivre de mon activité.
+ Pour ce qui est des suppléments, les petits numéros se
vendent mieux que les gros. Standard là aussi. C'est pour cela par exemple que
ces derniers temps, les éditeurs de comics rebootent en permanence leurs
titres. Quand j'étais gamin, j'achetais des comics à trois chiffres.
Aujourd'hui, dès qu'on passe trente ou quarante numéros, boom!, on arrête tout
pour faire un relaunch. Je n'en suis pas encore à me poser ce genre de
questions, mais l'infléchissement des ventes à mesure du développement de la
gamme est déjà sensible. Et il ne va faire que s'accentuer. C'est une
frustration, je l'avoue. Je ne parle pas du volet strictement commercial, qui
est attendu, mais de l'aspect plus globalement créatif. Je souffre d'avoir plus
de mal à vendre mes suppléments les plus récents car je pense que la qualité
éditoriale est en hausse. Je peux me planter, hein, on n'est pas forcément bon
juge de son propre travail, mais je pense que les derniers numéros sont
beaucoup mieux branlés. J'ai le sentiment d'avoir pexé dans l'organisation des
contenus, de sorte que leurs sommaires sont mieux foutus que ceux des premiers.
Le hic est que pas mal de lecteurs ne s'en rendront jamais compte parce qu'ils
n'iront pas jusque là. Ça me criiispe, mais c'est la vie.
+ Les numéros réguliers se vendent mieux que les
hors-séries, dont la durée de vie commerciale est très courte. Ce qui est
normal car ils s'adressent aux hardcore fans de Sombre, qui sont en nombre
limité. Les lecteurs moins accrochés par le jeu se contentent des numéros
réguliers. Tous ou seulement quelques uns, selon leur budget, besoins et
envies.
+ Le matos de jeu se vend mieux que la littérature
horrifique. Là encore, rien d'étonnant vu que je tourne surtout dans le JdR. Il
y a une certaine porosité avec le fandom littéraire, pas mal de rôlistes étant
biclassés gros lecteurs, notamment dans le domaine des cultures de
l'imaginaire, mais c'est loin d'être suffisant pour faire décoller mon recueil
de nouvelles (Sombre HS1). Pour le vendre plus, il faudrait que je tourne aussi
dans les conventions et festivals littéraires, mais je n'ai pas de réseau et
guère le temps de m'en constituer un. Le jeu de rôle m'accapare beaucoup.
- Sombre est un travail de tous les instants. As-tu connu des
moments de doute depuis que tu t'es lancé là-dedans ? Un moment où tu t'es dit
que c'était trop compliqué ?
- Clair que ce n'est pas facile tous les jours. Sombre est un
long marathon créatif. Sans repos, sans interruption, sans petit break. Et cela
depuis 2011. Ce dont je ne vais pas me plaindre, vu que je l'ai choisi, et
qu'en fait, c'est juste génial que huit ans plus tard, cela dure encore. C'est
supra cool, et c'est aussi un supra gros taf. Ce qui me fait tenir ? 1/ La
passion. 2/ Le professionnalisme. Par bonheur, ils ne sont pas incompatibles.
Sombre est un putain de plaisir et un putain boulot. Ça synergise grave.
Quand je mène mon jeu, quand je l'écris, quand je le publie,
quand je le promeus (comme maintenant, tandis que j'écris ces lignes), je
t.r.a.v.a.i.l.l.e. C'est un boulot qui m'éclate, et je souhaite à quiconque de
trouver à s'épanouir autant que moi dans son activité professionnelle, mais ça
reste un boulot. Une fois que tu as bien intégré cet aspect, je veux dire que
tu l'as *vraiment* bien intégré (et en un quart de siècle, particulièrement
depuis 2011, j'ai eu le temps de m'y faire), ça te facilite la gestion du
court, du moyen et du long terme. Si tu fonctionnes sur le mode de la passion
pure, tu ne cherches que le plaisir. Quand tu es en même temps en mode boulot,
tu acceptes mieux les contraintes liées à l'activité. Parce que la contrainte
est la définition même du boulot. Cela m'a aidé à trouver ma vitesse de
croisière.
J'ai des emmerdes ? Ouais, j'en ai. J'ai des doutes ? Ouais,
j'en ai. J'ai des appréhensions ? Ouais, j'en ai. Mais comme n'importe qui dans
son travail. Et comme tout le monde, je serre les fesses et relève mes manches.
Y'a juste pas de secret : pour avancer, faut bosser. Et pas par à-coups,
quotidiennement. C'est une course de fond, raison pour laquelle j'ai voulu que
Sombre devienne mon métier. Je n'aurais pas pu le faire en loisir ou en
dilettante. Le projet aurait vite capoté.
Présentement, j'en suis à douze tours de stade, deux par an,
et je veux que ça dure encore longtemps. Du coup, je dose mon effort et essaie
de ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Pour te donner un exemple
concret, j'ai publié Sombre 6 et HS1 en même temps. Je ne veux plus le refaire,
du moins pas de cette manière. Enchaîner deux bouclages fut vraiment trop dur.
Des gens me disent « Johan, tu devrais faire-ci, et puis ça, et puis ça encore.
Et tu verras que Sombre va y gagner ». Ils sont plein de bonnes intentions et
leurs idées sont souvent très intéressantes, mais la vérité est que je n'ai que
24 heures par jour et 7 jours par semaine. Pour tenir la distance, j'y vais à
mon rythme. Et je priorise.
- Sombre se veut générique et veut couvrir au maximum
l'univers étendu des films d'horreur. Pour l'instant il y parvient, mais
n'importe quel fan de ce genre cinématographique verrait des manques. Le
splatter / comique par exemple ou le pornsoft, le porn and revenge, etc. Ce
sont des genres certes bien à part mais qu'on peut néanmoins rattacher au
cinéma horrifique. Autant que Predator, que le dernier numéro de Sombre cherche
à émuler. Tu comptes les aborder un jour ou soigneusement les éviter ? Et
pourquoi donc ?
Pour être plus précis, et parce que je crois comprendre
qu'en fond, ta question peut se résumer à « Sombre sera-t-il à l'avenir plus
extrême qu'il ne l'est déjà ? », ma réponse est que ce n'est pas un concours. Tu
me parles cul et gore. Il y a déjà eu des inserts de ce type dans la revue, et
il y en aura probablement encore, parce que cela fait partie de l'horreur
cinématographique. Cela dit, je ne cherche pas par principe à repousser les
limites. La provoc n'est carrément pas mon kif.
Quand j'écris ou mène, j'ai simplement le souci d'être
juste. Pas au sens « bon », au sens « approprié ». Je m'efforce de faire
ce que je juge adéquat. Ce qui convient au sous-genre horrifique que j'explore,
aux règles du système Sombre que j'utilise, à l'histoire que nous racontons
ensemble, aux personnages (PJ et PNJ) que nous interprétons, et bien sûr aux
joueurs eux-mêmes. Je me fous de faire plus gore, plus cul, plus whatever. Je
cherche le point d'équilibre horrifique de chacune de mes parties. Qu'elles
soient improvisées ou menées d'après un scénario, trouver le bon dosage n'est
jamais simple. Souvent, j'y échoue. Ce n'est pas grave. L'important et de faire
l'effort de tendre à l'équilibre parce que cela tire le jeu vers le haut.
Il faut aussi prendre en compte les limites intrinsèques au
média jeu de rôle. Le porno et le splatter sont à mon sens des expressions très
audiovisuelles. Voire très visuelles, l'audio ne servant souvent que de
faire-valoir à l'image. Je n'ai pas l'impression que ce soit quelque chose que
le jeu de rôle fait particulièrement bien. Sans support visuel, le cul et le
gore sont moins efficaces. En insert, passe encore. Sur toute une partie par
contre, c'est peu convainquant. Moi en tout cas, j'ai du mal car j'arrive très
vite au bout de ce dont je suis capable en termes de descriptions. Une scène,
ça va. Deux ou trois de suite, je me répète et cela perd tout relief.
Je ne sais pas si par « porn and revenge » tu entends « rape
and revenge ». Tu confonds peut-être avec le « revenge porn », qui relève
du délit, pas de la fiction cinématographique. Si tu parles bien du rape and
revenge, le sous-genre m'intéresse, surtout dans sa déclinaison horrifique.
Comme le vigilante movie d'ailleurs. La vengeance est un thème puissant,
facilement exploitable en jeu de rôle d'horreur. D'ailleurs, l'un des épisodes
de ma campagne The man who shot the sixties, dont j'ai publié le compte rendu
dans Sombre HS3, relève du rape and revenge. L'un de ses arcs narratifs en tout
cas. Il s'agit, je l'ai expliqué dans mon texte, de l'un des passages de la
campagne qui m'a le plus durablement marqué.
Pour ce qui est du splatter, la première scène de White
trash (Sombre 4), qui donne le ton de l'ensemble du scénario, est pile-poil
dans le cadre. Quant au soft porn, il ne faut pas chercher plus loin que La
nuit sans été (Sombre 7). À ma table en tout cas, ça a pas mal forniqué en mode
plus ou moins explicite. Reste la comédie horrifique, dont relève en vérité une
part non négligeable de ma production. Je suis d'un naturel ironique, cela
transparaît dans la manière dont j'écris et mène Sombre. Je fais des
blagounettes, et parfois me laisse aller à la satire, comme dans A man after
midnight (Sombre 8), qui est à la fois un vrai slasher old school et une vraie
parodie de slasher old school.
-Neuf numéros plus les hors-séries, ça commence à faire. Tu
comptes nous préparer un numéro spécial pour le dixième ? Tu fêtes de quelle
façon les anniversaires de Sombre, si anniversaire il y a ?
- Je ne fête rien du tout parce que je suis moins intéressé
par le chemin parcouru que par celui qu'il me reste à parcourir. Quand tu
regardes plus le passé que le futur, c'est que t'es déjà un peu mort. Or Sombre
est bien vivant. Je dirais même « It's aliiiive ! ». Du coup, les annivs
et les commémos me passent au-dessus de la tête. Sans compter que de mon point
de vue d'auteur, j'en suis au douzième numéro. En terme de travail, il n'y a
pas de différence entre un régulier et un hors-série. Dans les deux cas, 72 pages
à remplir de textes et d'aides de jeu que je souhaite les plus intéressants et
les plus carrés possible.
- D'ailleurs pourquoi des hors-séries ? Si ça me paraissait
compréhensible pour le premier, qui est simplement un recueil de nouvelles
signées de ta main, les autres me paraissent bien utiles. Qu'est-ce qui te
pousse à en faire des hors-séries ? Et comment tries-tu les articles qui vont
dans les numéros réguliers et ceux qui vont dans les hors-séries ?
Pour ce qui est des deux autres hors-séries, je suis fort
aise de constater qu'ils te font envie parce qu'en fait, tu es le cœur de cible.
Ces numéros s'adressent aux hardcore fans, ceux qui n'en veulent grave du
Sombre. L'idée est que si tu aimes le jeu, mais pas à la folie, tu lâches dix
balles par an pour suivre la gamme régulière. Si tu es vraiment bien accroché,
tu doubles la mise pour récupérer également le hors-série de l'année. Dans le
numéro régulier, l'essentiel. Dans le hors-série, du moins essentiel mais cool
quand même. Des exemples pour être plus clair ? À mon sens, le setting Indian
Lake (S8) est indispensable à tout meneur de Sombre qui se respecte. Super
utile de plein de manières différentes. On peut par contre vivre sans lire le
compte rendu de la campagne que j'y ai improvisée (HS3). Mais si on le fait, il
y a bien des chances qu'on y trouve de l'inspiration pour ses propres parties.
Dans le même ordre d'idées, je pense que le story deck (S7) est incontournable.
C'est un gros bout de Sombre. Du mini deck et du casting minute (HS2), on peut
plus facilement se dispenser. N'empêche qu'ils sont l'un et l'autre vachement
fun.
- Johan version non auteur ça donne quoi ? Tu réussis à avoir
une vie à coté de tout ça ? Tu bossais dans quoi avant d'être auteur a plein
temps ? On t'a vu signer des piges ou des scénarios à droite ou à gauche. Tu as
évolué dans d'autres domaines que l'écriture ?
- D'ailleurs, le Johan non auteur, il vient d'où ? Comment
était l'enfant qui est arrivé aux JdR ? Et comment et à quel âge s'est déroulé
ton premier contact avec les jeux de rôles ?
- En parlant « autre » jeu de rôle, tu en lis encore beaucoup
? Quels sont ceux que tu apprécies, qui t'interpellent et pourquoi ?
- Je me tiens au courant des sorties pour ne pas avoir trop
l'air d'un vieux con quand on me parle de l'actualité rôliste en convention,
mais lis très peu de matériel ludique. En majorité des kits de démo. D'abord,
il y a une question budget. Bouquiner du jeu de rôle est super cool, mais coûte
pas mal de sous. Or j'ai d'autres priorités, me chauffer en hiver par exemple.
Ensuite, le fait que, par goût autant que contrainte professionnelle, je ne
mène actuellement que mon jeu. Du coup, je n'ai pas de besoin ludique que
Sombre ne satisfasse.
Quid de l'inspi, demandes-tu ? La lecture qui donne des
idées. En vérité, je les puise plus volontiers dans la fiction
cinématographique, télévisuelle et littéraire. Pour ce qui est du jeu, Sombre a
acquis depuis un bon moment sa propre dynamique, cohérence et logique interne.
Au tout début, quand je me posais une question technique, mon premier réflexe
était d'ouvrir Kult pour voir comment Johnsson et Petersen traitaient la
question. Mais cela fait bien longtemps que j'ai perdu cette habitude.
Au début du millénaire, tandis que je travaillais à
m'émanciper de Kult, j'ai ressenti le besoin de faire un état des lieux du jeu
de rôle d'horreur. Il fallait que je me fasse une idée assez précise de ce que
proposaient mes confrères pour pouvoir me positionner par rapport à eux. J'ai
donc acheté plein de jeux et de suppléments, une masse de matos qu'il m'a fallu
plusieurs années pour digérer. Quand ce fut fait, j'ai quasi tout revendu.
C'était il y a plus de quinze ans et depuis, je n'ai pas
racheté grand-chose. Alors aujourd'hui, je suis totalement largué. C'est ce qui
explique que je ne cause que de Sombre. J'évite d'ouvrir ma grande bouche sur
les autres jeux parce que je dirais des bêtises grosses comme moi.
- Sombre, on le sait, vient de ton amour pour le cinéma de
genre. Quels sont les films que tu cites quand tu parles de Sombre ? Et quels
sont tes films préférés ? Si ce ne sont pas les mêmes, pourquoi ?
-Ça, c'est le pur marronnier. La question qu'on me pose quasi
une interview sur une. Avant, je me creusais les neurones pour y répondre.
Maintenant, j'élude. Ceci pour deux raisons. D'une, le jeu commence à parler de
lui-même. Au point où la gamme en est rendue, mes goûts en matière de cinéma
d'horreur sont devenus évidents. Je pense que tout le monde s'est aperçu que
j'apprécie les prods des années 70 et 80. Je précise à l'intention de ceux
parmi tes lecteurs qui n'auraient jamais parcouru un numéro de Sombre, que
chacun de mes scénarios s'ouvre sur une section Références. J'y liste les
œuvres, pour la plupart des films et des livres, desquelles je me suis inspiré.
Je ne suis pas toujours überfan de tout ce que je cite, mais si je mentionne
telle péloche ou tel bouquin, c'est en général que j'y trouve un intérêt
quelconque.
La deuxième raison pour laquelle je ne m'étends plus trop
sur mes goûts cinématographiques est que j'ai réalisé qu'en matière d'horreur,
je suis devenu hyper bon public. Et c'est rien que de la faute à Sombre ! À la
base, fan lambda que je suis, j'avais mes kifs. Mes films et sous-genres
préférés. Puis je me suis mis en tête d'écrire un jeu d'horreur générique. Pas
seulement un système, aussi des scénarios qui réalisent très concrètement cette
promesse de généricité. En douze numéros, j'en ai publié pas mal dans moult
sous-genres. Et c'est sans compter un bon paquet d'autres, encore inédits. Last
but not least, j'ai commencé à improviser tout un tas de parties. Mais vraiment
plein, des dizaines et des dizaines. À chaque fois, en m'appuyant sur le
brainstorming de mes joueurs. Leurs goûts en matière de fiction horrifique se
sont donc invités à ma table, et j'ai pris grand plaisir à les explorer.
Résultat, maintenant j'aime un peu tout. Le slasher par
exemple. Comme je l'ai expliqué dans l'édito de Sombre 8, ce n'était pas mon
sous-genre préféré lorsque j'étais gamin. Mais depuis que j'en ai écrit deux
pour Sombre et les ai menés plein de fois à ma table, ben je surkiffe. Le jeu
de rôle, mon bon monsieur, c'est rien que de l'ouverture culturelle.
- Avec Lovecraft, on sait que tu as une culture littéraire
très étendue. Je citerais simplement l'excellent scénario La nuit sans été, qui
s'inspire non pas des écrits de Shelley ou Byron, mais de l'excellentissime Le
Poids de son regard de Tim Powers. J'imagine que tu as lu du Barker, du
King et peut-être du Masterton aussi. Quels sont tes auteurs de prédilection ?
- D'ailleurs, Johan regarde des films d'horreur. Johan écrit des
machins d'horreur. Johan écoute de la musique aussi ? Laquelle ?
- Je publie sur Tipeee tout ce qui ne risque pas de spoiler la
revue. En ce moment par exemple, je travaille sur des settings, que je
publierai dans de futurs numéros de Sombre. Je les teste en mode semi quickshot
(de l'impro dans un décor préconstruit) et rédige des comptes rendus, mais n'en
fait pas de contreparties parce que je veux conserver au fanzine toute sa
fraîcheur.
- Il y a les revues, Tipeee, et je crois savoir aussi que tu
es disponible pour des évènements ponctuels type animation d'anniversaires ou
autres. Finalement, financièrement tu t'en sors avec le boulot d'auteur ou
c'est vraiment compliqué ?
Big up les gars et
les filles. Si j'en suis là, c'est uniquement grâce à vous.
- Classic, Zéro et Max, trois variantes pour un même système.
De ton propre aveu tu ne feras plus de variantes. Alors, Sombre ça sent le
sapin ? C'est quoi l'avenir de la gamme ?
- Écoute, un jeu d'horreur qui sent le sapin, ça me semble
plutôt une bonne nouvelle. Plus sérieusement, je ne prévois effectivement pas
d'autre livre de base. Il ne faut jamais dire jamais parce que personne n'est à
l'abri d'une épiphanie rôliste, mais je n'ai pas de projet de cet ordre. Par
contre, je ne m'interdis pas les sous-variantes. Il se pourrait d'ailleurs que
je sois en train de bosser sur l'une d'elles. Et puis, comme je le disais, j'ai
des envies de settings. Il n'y aura jamais un seul gros univers officiel pour
Sombre car cela contredirait violemment son postulat de généricité horrifique,
mais j'apprécie de plus en plus les textes à la Indian Lake (S8). Des décors un
peu fouillés, mais pas trop, vastes juste ce qu'il faut, dans lesquels on peut
facilement jouer un, deux, trois one-shots, voire une petite campagne (HS3).
Sans virer à l'encyclopédie imaginaire, ils donnent pas mal de billes aux
meneurs pour improviser ou écrire leurs scénars.
- D'ailleurs, on constate suite à ces multiples questions que
tu vis Sombre à 666% T'en as pas un peu marre des fois ? Tu penses passer à
autre chose un jour ? Et ce serait quoi ?
- Je n'ai d'autre plan d'avenir que Sombre et la littérature
d'horreur. Il va sans dire que je ne sais pas du tout où l'un et l'autre vont
me mener. L'incertitude est le propre des professions créatives. J'ignore
jusqu'à quand je vais pouvoir continuer à faire ce que je fais, mais tant que
je gagne, je joue. Même si au niveau financier, ce n'est pas l'Annapurna, je
suis conscient de vivre les meilleures années de ma carrière. Sombre est mon
dream job.
- Un petit mot pour les projets autour de Sombre. J'entends
par là Extinction, Millevaux et Cthulhu DDR. Tu as joué à tous ? Qu'en
penses-tu ? On t'en propose souvent ? Tu sélectionnes ces boulots de fans de
quelle façon ?
Millevaux dans sa déclinaison Sombre est une création de
Thomas Munier. Un univers post apo forestier et lovecraftien, exploré en mode
survival horror. Cthulhu DDR est le projet de Thierry Salaün. Un croisement
hautement improbable mais carrément jouissif entre l'Allemagne de l'Est des
années 60, le Mythe de Cthulhu et Sombre. Et pis y'a des goules dedans. Quant à
Extinction, cet univers est de ma main. De l'apocalyptique marin et
lovecraftien pour jouer après le réveil de Cthulhu. Mad Max dans la flotte avec
des gros monstres marins super agressifs. Son cadre général est paru dans
Sombre 2.
Je n'ai joué dans aucun de ces dark worlds. Pour Millevaux
Sombre et Cthulhu DDR, rien de plus logique, vu que ces dernières années, je
n'ai mené, par nécessité et goût, que mon propre matériel. Pour Extinction,
l'explication est différente. Avant que je ne l'intègre à Sombre, le projet
était un supplément amateur à L'Appel de Cthulhu. Nous étions une petite
douzaine d'auteurs et d'illustrateurs à le porter à bouts de bras. Je m'y suis
personnellement beaucoup investi, au point que, par de nombreux aspects, il m'a
servi de banc d'essai pour Sombre. Sans Extinction, les Personnalités
n'existeraient sans doute pas. Il a malheureusement fallu que je le mette en veille
pour me dégager du temps de travail. Mener ce projet de front avec Sombre était
impossible. Or nous n'avions pas encore atteint le stade des playtests. Cela
explique que je n'aie publié que son cadre général dans Sombre 2. N'empêche que
l'idée de le mener me gratte toujours. N'est pas mort qui à jamais dort,
n'est-ce pas. On verra si j'arrive à caser ça dans mon emploi du temps de
ministre.
- D'ailleurs, avec Extinction, Cthulhu DDR, et jusqu'au
scénario du dernier numéro (Sombre 9), Lovecraft et son pote poulpe ont l'air
de faire partis de cet univers horrifique. Stuart Gordon et Yuzna ont fait
aussi pas mal d'essais cinématographiques sur le Grand Ancien et ses potes.
Qu'est-ce que tu trouves de si fascinant dans le Mythe ?
Ce n'est pas le Mythe qui me fascine chez Lovecraft. Je ne
le déteste pas non plus, hein. Je le considère simplement comme un outil, qui à
mon avis gagne à être utilisé avec une certaine retenue. Tu remarqueras que, à
l'imitation de ce qu'a fait Tynes dans Delta Green, j'ai évacué d'Extinction
99 % du bric-à-brac lovecraftien. Quant à L'appel du bayou, mon scénario
d'initiation à Sombre max paru dans Sombre 9, il met également de côté toute
référence à Cthulhu lui-même, alors qu'il est directement adapté d'un chapitre
de la nouvelle qui porte son nom. Savoureux paradoxe. Nan, ce qui me plaît
surtout chez Lovecraft, ce sont ses histoires et ses ambiances, dont la
puissance transcende leur arrière-plan Mythique et leur monster design un peu
plastoc. Un siècle plus tard, ça reste de la très bonne came horrifique. Et
aussi, tout prétextes à récit soient-ils souvent, j'aime certains de ses
personnages. En particulier, je trouve à HPL un vrai talent pour l'onomastique
qui claque. Or c'est un truc qui compte vachement pour moi.
- Un mot pour conclure ?
-Géranium.
3 commentaires:
Trés bon interview, très intéressant ! Bravo et merci à vous ! ca donne envie d'y jouer encore plus !
En effet super intéressant !
klab
Grateful for sharing this post.
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