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On y cause de
Métal sous toutes ses formes, d'ambiance d'apocalypse, films, séries, jeux de rôle et jours de colère...

dimanche 6 décembre 2020

INTERVIEW - SOMBRE STRIKE AGAIN

 Salut à toi.

Johan est un auteur de jeu de rôles indépendant et autonome. Vui monsieur, c’est tout comme je te le dis. Mais dans le monde du jdr (qui parfois se tape le coquillard de l'indépendance éditoriale et de tout ces trucs qui font réfléchir) Johan c'est surtout l'auteur de l'inénarrable et indétrônable Sombre, le jeu de rôle qui, en plus de te faire peur comme au cinéma, repense et repose les bases de ce fantastique loisir en une poignée de numéros.

Oulà, tout de suite ça en jette hein ? Ouais mais le pire c'est que c’est vrai. Encore.

Encore ? Et oui, j'avais déja eut l'opportunité de lui poser quelques questions ici, et cette occasion à été renouvelé. Voici donc notre nouvel entretien qui fut publié en premier lieu sur le Tipeee du monsieur (là : https://fr.tipeee.com/johan-scipion-raconte-sombre). Moins fun peut-être -période sanitaire oblige- mais tout aussi enrichissante, je te la livre ici :


Salut Johan. Je reviens à la charge pour te poser quelques questions concernant ce super numéro spécial Halloween confiné, à thème Halloween, prévu pour Halloween.

 Hello monsieur Groumph. Merci pour tes bons mots sur Sombre 10, et pour tes questions aussi. Toujours un plaisir d'y répondre. Allez, envoie. 

 

Tu as eu une année chargée. Un double tap au printemps, HS5 et HS6. Et là, le HS7 et le spécial Halloween, le numéro qui nous intéresse présentement, l'excellent Sombre 10. T'avais déjà connu une bonne poisse avec le premier confinement et ton calendrier Sombre, mais là, ça atteint des sommets, et personnellement je rage de ne pouvoir utiliser ce numéro pour ma soirée d'Halloween. Mais toi ça va, t'es pas trop sur les rotules ? Ça représente pas mal de taf en amont j'imagine. Comment t'es-tu organisé pour orchestrer ces quatre sorties ?

Oui, produire et publier quatre numéros l'an, même cette année qu'il n'y a pas eu de conventions, représente une quantité colossale de travail. D'autant que je ne l'avais pas prévu. Mon plan initial consistait seulement à pousser jusqu'à trois, ce qui était déjà une immense gageure. Extrêmement ambitieux, vraiment. Je ne sais pas si j'y serais parvenu car il aurait fallu que je les sorte en même temps que j'assurais les convs. L'idée était d'en publier un au printemps et deux en automne, en comptant que j'aurais le temps de finaliser ces derniers durant l'été. Tendu.

Ce plan si soigneusement ourdi a commencé à dérailler durant l'écriture de Sombre HS5, lorsque je me suis avisé qu'il appelait fortement un numéro miroir. Je voulais publier simultanément l'ensemble de mes comptes rendus de playtest d'Aliiive, un setting à la mode Frankenstein. J'y avais mené six parties, et pensais que les récits que j'en avais tirés constitueraient de précieuses aides de jeu pour l'exploiter au mieux. Or je n'avais la place que d'en caser deux dans HS5. D'où le besoin de HS6.

J'ai bossé comme un fou malade sur ce double bouclage. Ce fut hyper dur, au point que j'ai frôlé la catastrophe à la fin de l'hiver. Avec la saison des conventions qui se profilait, je voyais la crise de surmenage arriver. Paradoxalement, c'est le Covid qui m'a sauvé. Plus de conventions et plus non plus de Poste, donc activité commerciale réduite à quasi zéro. Cela m'a permis de souffler un peu et d'étaler le boulot. J'ai double bouclé tranquille, puis publié conjointement HS5 et HS6 après le confinement. Comme il n'y avait toujours aucune conv à l'horizon, j'ai directement enchaîné sur la rédaction des numéros suivants, S10 et HS7.

Second double bouclage, rude lui aussi. À cause de la canicule, cette fois. Il a fait tellement chaud que j'ai pris une dizaine de jours de retard sur mon calendrier de travail. J'ai fait le maximum, mais la température était telle que je n'avançais pas. Il a fallu que je rattrape le temps perdu. À la rentrée de septembre, c'était de nouveau tendu. J'avais la pression car mon plan machiâââvélique était de mettre en vente mes numéros Halloween au plus tard le 15 octobre, de façon à ce que les gens puissent me les acheter pour les jouer à Halloween (justement). J'ai turbiné comme un taré et ai grosso merdo tenu mes délais. Petit dépassement, rien de grave. Sauf que patatras, mon imprimeur a pédalé dans la semoule, et pris du retard à son tour. Il faut dire que lui aussi est fortement impacté par le Covid.


Au final, S10 et HS7 sont sortis quelques jours seulement avant Halloween, mais comme de toute façon, on passait dans le même temps en couvre-feu puis en reconfinement, ce retard n'avait plus aucune espèce d'importance. Quand j'ai compris qu'il n'y aurait de soirée Halloween pour personne cette année, j'ai arrêté de stresser. Pour me consoler, je me dis que Sombre ne se périme pas en quelques mois. S10 et HS7 seront tout aussi consommables pour Halloween 2021. Et 2022. Et 2023. Etc.


Le bon point du reconfinement est que la Poste fonctionne normalement, ce qui me permet de continuer à honorer mes commandes. Ces dernières semaines, j'ai pu livrer mes abonnés juste après avoir récupéré mon stock chez l'imprimeur, puis ai enchaîné avec les précommandes. Au moment où j'écris ces lignes, j'en suis à préparer et poster les commandes ordinaires. Business quasi as usual, ce qui est un soulagement. La différence avec 2019 bien sûr est que je n'ai fait aucune promo live. Pas de soirée de lancement, pas d'animations, pas de tournée de démos en festivals ou conventions. Tout par le Net.


Telle une mauvaise pandémie de Série Z, le Covid n'a pas épargné Sombre. Le voilà maintenant de retour. Tu as prévu quoi pour y faire face ?


J'ai établi un plan parce que si tu n'as pas de plan, sûr et certain que tu vas dans le mur. Bon, si t'en as un, tu peux quand même te prendre le mur, mais y'a une micro chance que tu aies prévu un airbag du bon côté de la bagnole. C'est un peu ce qui m'est arrivé. Avant la crise, j'avais déjà un plan sans accroc. Comme je l'ai expliqué au printemps sur les forums rôlistes et les réseaux sociaux, j'étais entré depuis plusieurs mois dans une dynamique de sauvetage de la revue, qui amorçait sa phase descendante. Sombre dure (17 numéros, tout de même) avec pour conséquence quasi inéluctable que ses ventes s'essoufflent. Comme j'ai envie de continuer à produire ce fanzine qui me passionne, j'ai longuement ruminé un plan B à base d'abonnements et d'augmentation du nombre de publications, d'où mon projet initial de trois numéros annuels en 2020. J'avais tout bien planifié, et lancé le début de ma promo... pile-poil pour le début du premier confinement ! Timing de malade.


Le Covid m'a complètement pris de cours. Français moyen que je suis, j'avais gobé tout cru le « Pas de panique, ce n'est qu'une grippette ». Forcément, le virus m'a éparpillé façon puzzle. J'ai profité du confinement pour me regrouper, réfléchir et me renseigner. Je ne suis ni virologue ni épidémiologiste, et ne connais rien à la médecine. Mon champ d'expertise, c'est l'écriture et le game design. Pour paraphraser Don Salluste, je suis rôliste, je ne sais rien faire. Donc j'ai cherché des infos sur le Net. La vache, c'était super pas facile ! Cette cacophonie médiatique, quelque chose de bien. D'un côté, les scientifiques qui avancent au rythme de la science, assez lent. De l'autre, la patate de journalistes, pas forcément plus aware que moi, qui tendent le micro à un peu tout le monde, et surtout n'importe qui. Ce vieux bordel, putain.


J'ai essayé de faire le tri, et ce que j'ai réussi à comprendre, c'est qu'on partait sur quelque chose qui avait de bonnes chances de ressembler au déroulé de la grippe espagnole. Une crise sanitaire qui durerait entre 18 et 24 mois. On était début 2020. Je me suis dit, on en a encore au moins jusqu'à mi-2021, plus probablement début 2022. Du coup, mon challenge Sombre actuel, c'est ça : tenir deux ans. Réussir à faire survivre la revue jusqu'à la sortie de crise, sans conventions et probablement sans beaucoup de playtests. Ardu de chez ardu.


Pas de conventions veut dire beaucoup moins de ventes directes (en circuit court, ne reste que la VPC aux particuliers). Or ce sont elles qui, en l'absence de tout intermédiaire, me rapportent le plus, et donc me font vivre. Peu de playtests signifie que je ne suis plus en mesure de développer et finaliser du matériel prêt à jouer. En clair, deux ans sans pouvoir produire de nouveaux scénarios, aides de jeu ou settings. C'est chaud de chaud quand tu publies un jeu de rôle sous forme de revue
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Ma chance dans tout ce merdier est que je bosse avec sérieux. Ces dernières années, j'ai mis un peu de matos de côté parce que j'étais conscient que n'importe quel accident personnel, un problème de santé un peu sérieux par exemple, pouvait faire dérailler mon planning de publication. Je m'étais donc constitué une épargne Sombre pour amortir ce genre de mauvaises surprises. Un bon point déjà, les playtests de S10 et HS7 étaient achevés longtemps avant le premier confinement. HS5 et HS6 étant quant à eux en bouclage, je savais d'emblée que je pourrais assurer mes quatre numéros de 2020. Pour les premiers de 2021, j'ai également ce qu'il faut. Le matos est playtesté, mais rien n'est finalisé encore. Je suis en ce moment en pleine phase d'écriture. C'est ensuite que ça se complique.


Mon idée était de repartir fin 2021 sur du Classic au format long, parce que je suis bien conscient que cela manque à la revue. Au vu de la situation actuelle, je ne sais pas si cela sera possible. En ce moment, je ne suis pas en capacité d'écrire et playtester un scénario du calibre de House of the rising dead (S1) ou La nuit sans été (S7). J'ai des idées, mais à raison de quatre bouclages par an, pas le temps de les coucher sur papier. Et je ne peux pas non plus rassembler chez moi les joueurs dont j'ai besoin pour les playtester. J'ai mené entre les deux confinements, mais moins souvent que d'habitude, et avec 3 joueurs seulement. À plus dans ma cuisine, le concept de distanciation sociale vire à la grosse blague. Or les scénarios Classic que j'ai en tête nécessitent au moins 4 joueurs.

J'ai donc modifié les présommaires de mes futurs numéros. J'ai quelques petits scénars sous le coude, qui pourront me dépanner. Ensuite, soit la crise s'éternise, et je serai peut-être contraint de publier des numéros sans matériel prêt à jouer, donc constitués essentiellement d'articles et de comptes rendus. Soit elle est un peu raccourcie par le déploiement efficace du vaccin qui va bien, et il se peut que j'arrive à faire la jointure. Mais même dans ce cas, cela va être tendu parce qu'à raison de quatre numéros par an, mon stock de matos d'avance est déjà en train de fondre comme neige au soleil. Or réamorcer la pompe à playtest va me demander pas mal de temps, surtout si les convs finissent par reprendre en parallèle (ce que je souhaite).

Dans tous les domaines de mon activité, le Covid se traduit par une énorme cassure. Je m'efforce de limiter autant que je peux les dégâts, mais sais que bien négocier le virage de sortie sera tout aussi difficile que gérer la crise elle-même. J'anticipe une période de transition assez longue et plutôt inconfortable avant un retour à la normale, si retour il y a. Je ne sais pas du tout si, à terme, je vais retrouver une situation comparable à celle de 2019. Autant de conventions ? Autant de festivals ? Autant d'animations ? Rien n'est moins sûr.
 

Le scénario du numéro 10, parfaitement calibré pour une ambiance Halloween, le très bon Ouijalloween, est probablement l'un des meilleurs que j'ai lu pour le jeu. Il surpasse pour moi en ambiance et en qualité ce que je n'espérais pas voir dépasser un jour, le déjà très bon La nuit sans été (S7). Pourtant, si j'en crois que ce que tu écris, et contrairement à House of the rising dead (S1) par exemple, ce scénario a été plus rapidement testé, pensé et publié. Tu nous racontes sa genèse et ses influences ?


Oui, ce fut plus rapide. D'abord parce que La nuit sans été s'appuie sur une aide de jeu drama (le story deck) qu'il m'a fallu préalablement développer et caler, ce qui fut très long. Ensuite parce que pour Ouijalloween, je ne suis pas parti de rien. À l'origine, il y a un quickshot. C'est ainsi que j'appelle les parties de Sombre improvisées d'après un brainstorming avec les joueurs. J'en ai mené plus d'une centaine depuis que j'ai commencé à playtester sérieusement. Fut un temps, je le faisais régulièrement en convention. Ces dernières années, j'ai levé le pied. Enchaîner un marathon de démos flash en journée du samedi + un quickshot nocturne de plusieurs heures + un second marathon flash le dimanche, est tout bonnement épuisant. Cela me met sur les rotules pour plusieurs jours, et vu que ma charge de travail a en parallèle beaucoup augmenté, je ne peux plus me le permettre. Avec le temps, les quickshots se sont donc faits rares à ma table en convention. Je les réserve en priorité aux playtests dans ma cuisine et aux animations chez des particuliers.

Fin 2016, je me retrouve à participer à la RJDRA, une convention qui se veut l'héritière spirituelle de la défunte et mythique CJDRA. Comme elle se déroule tout près de chez moi, ce qui minimise grandement la fatigue (pas de long voyage en train), et que j'ai vraiment envie de renouer avec mes habitudes de la CJDRA, je me décide pour un double programme flash en après-midi + quickshot pas trop long en soirée. Ce n'est guère raisonnable parce que je suis dans une phase de gros taf, donc super fatigué. Mais bon, la CJDRA quoi. Malgré que tout soit contre nous (créneau nocturne super tardif, température polaire, meneur à la ramasse, recrutement approximatif), la partie est très réussie.

On produit une impro teen horror à thème Halloween sur fond de maison hantée. C'est classe, et sans que je l'aie le moins du monde prémédité, satisfait l'une des mes plus anciennes envies concernant Sombre. Depuis plusieurs années, je veux écrire un scénario Halloween parce que cette fête est une super opportunité pour l'horreur. C'est un moyen idéal pour faire entrer le genre dans la vie de gens qui ne s'y intéressent pas. Un peu comme moi et le folklore de Noël. Santa, sa femme et leurs elfes polaires me glissent dessus d'une force de taré. N'empêche que j'ai vu un certain nombre de films sur le sujet. On les diffuse massivement à la télévision durant les fêtes de fin d'année.


Pareil pour Halloween. Il existe tout un sous-genre cinématographique dédié. Des films plus ou moins horrifiques à thème Halloween qu'on regarde à Halloween. Je voulais un truc de cet ordre pour Sombre : un film d'horreur imaginaire à thème Halloween qu'on jouerait à Halloween. T'es fan de Sombre, t'as toute la collec' chez toi, mais tes zines prennent la poussière parce que tes potes ne jurent que par le med-fan. Miskine. Heu-reu-ze-ment, y'a Halloween, cette nuit durant laquelle l'horreur devient subitement cool. Les mêmes qui conchient le genre à longueur d'année sont les premiers à vouloir se déguiser en zombie. Faut en profiter ! C'est l'occasion rêvée de proposer une partie de découverte de Sombre. A priori n'importe quel one-shot de quelques heures peut faire l'affaire, mais s'il est à thème Halloween, cette mise en abîme toute simple risque bien de bonifier la partie. Sans que tu n'aies encore rien fait, tes joueurs sont déjà dans le bon mood.


C'est pour cela que j'en suis venu à convertir mon quickshot en scénario prêt à jouer. Très intéressant travail d'adaptation. J'avais déjà fait quelque chose de cet ordre pour Deep space gore, l'Alien-like que j'ai publié dans Sombre 3, mais ce portage-là avait été moins direct. Si j'avais effectivement tiré de trois improvisations la base de ce scénario flash, c'était surtout une question d'habillage, la structure narrative étant très différente. Entre trois longs quickshots Classic et un scénario Zéro en 15 minutes chrono, rien à voir. Pour Ouijalloween par contre, l'adaptation a été bien plus fidèle. Le scénario publié dans S10 est très proche de l'improvisation qui l'a inspirée. On peut d'ailleurs le vérifier en lisant HS7 puisque j'y ai publié le compte rendu de ce fameux quickshot de 2016.


Le setting US4SQ est très rafraîchissant et dénote à mon sens dans la « Sombrothèque » de par son ambiance, et même ta façon de rédiger le truc. Qu'est-ce qui t'a poussé à développer ce matos ?


Depuis 2012, j'utilisais en quickshot les plans de House of the rising dead, le scénario d'apocalypse zombie de Sombre 1. Quand les joueurs brainstormaient une maison, c'était souvent dans la ferme de House que nous nous retrouvions à jouer. J'avais un peu repris les plans publiés dans S1 pour les rendre génériques, c'est-à-dire que j'avais gommé toutes les particularités liées à mon scénar zombie. Cette version est d'ailleurs disponible dans HS7. Je l'y ai incluse en illustration du compte rendu de Ouijalloween. Elle est très fonctionnelle, mais pas idéale. J'aspirais à une architecture et un rendu graphique plus proches de ce qu'on voit dans les films d'horreur, ceux de Wes Craven notamment.


Tandis que je retravaillais Ouijalloween (le compte rendu de quickshot) pour le transformer Ouijalloween (le scénario Zéro), j'ai décidé de refaire les plans. Je me suis renseigné sur les pavillons de banlieue américains, et ce que j'ai trouvé m'a bien plu. Cela m'a mis les neurones en ébullition. J'ai gribouillé de nouveaux dessins, bossé les descriptions idoines, et mené quelques courtes impros dans ce décor, histoire de le playtester dans un autre contexte que Ouijalloween. J'ai d'ailleurs reproduit le compte rendu de l'une d'elles dans HS7. Elle fut très cool, ce qui m'a incité à saisir l'opportunité que m'offrait S10. Dans ce numéro, je pouvais facilement pousser ce petit décor urbain jusqu'à en faire un vrai setting séparé. Cela faciliterait sa réutilisation à la table des autres meneurs de Sombre, comme je l'avais fait moi-même durant mes playtests. Donc plutôt que de l'inclure dans Ouijalloween, je lui ai carrément consacré un article, auquel j'ai fait référence dans le scénario.


Le thème teen horror, annoncé en couverture, est parfaitement respecté pour ce numéro car tu enchaînes avec la variante Minimax. Alors que Sombre Max n'a pas réussi à me hyper plus que cela, je dois bien avouer que Minimax par contre, c'est grave ma dose. Qu'est-ce qui a motivé la création de cette variante et pourquoi partir de Max plutôt que de Classic ou de Zéro ?


Au cœur du truc, il y a que j'apprécie énormément les personnages enfantins. Quand tu donnes à jouer des gamins, il ne faut pas pousser beaucoup pour les mettre en position de PJ-victimes. Or c'est ce que je recherche dans le cadre de Sombre. Ma première tentative en la matière fut Les Grimmies, le scénario contes de fées de Sombre 6, dans lequel le cast est constitué d'enfants piochés dans les contes des Grimm et de Perrault : le Petit Poucet, le Petit Chaperon rouge, Hansel et Gretel. J'adore ce scénar, au point que depuis sa publication, j'avais envie de creuser la formule. Pas nécessairement le conte de fées dark, quoiqu'il s'agisse là aussi d'un sous-genre que j'affectionne, mais la prémisse des PJ enfantins. Un projet parmi d'autres, sans garantie qu'il voie jamais le jour parce que des idées comme ça, j'en ai plein mes cartons.

Sauf qu'à l'été 2018, je me suis planté en imprimant des cartes pour The Darkly Dozen, le scénario Max façon Magic paru dans Sombre HS4. Il m'éclate tant qu'après sa publication, j'ai continué à produire de nouvelles cartes pour l'enrichir. Deux extensions sont déjà sorties, dans HS6 et HS7, et ce n'est qu'un début. Pour tenir la cadence, je le playteste intensivement, ce qui me conduit à réimprimer souvent mes aides de jeu. Des cartes donc. Sauf que cette fois-là, je me goure. Au lieu de les sortir en taille normale, je les imprime en tout rikiki. kiffant. La vache, ce format est super sympa ! Je découpe ces minicartes, et constate qu'il est très agréable de les manipuler. Ça me plait de plus en plus, je voudrais en faire quelque chose. Mais quoi ?

Je n'ai pas besoin d'un nouveau système Sombre. Dans la catégorie aides de jeu minimalistes + procédures simplifiées, j'ai déjà Zéro, qui répond parfaitement à mes besoins. Développer un nouveau bloc de règles dans le même goût serait très redondant. Pourtant, j'ai grave envie d'utiliser ces minicartes. Leur taille me fait tilt : les petites cartes sont pour les petits personnages, c'est-à-dire les enfants. C'est de cette bête association d'idées que tout le reste a découlé. Elle s'est super bien emboîtée avec Max, système qui postule des protagonistes plus costauds que les victimes standard de Sombre. On ne peut pas one-shoter un PJ Max. Il me semblait que c'était très adapté aux enfants. Dans les films d'horreur aussi, ils ont tendance à être endurants. Pas qu'ils soient badass, plutôt qu'ils bénéficient d'une certaine dose d'immunité scénaristique. Ce code essentiel se trouvant fort bien relayé par Max, il s'agissait donc de produire une sous-variante. Je m'y suis collé. Elle m'a occupé une bonne partie des derniers mois de 2018 et des premiers de 2019.


Les Goonies, Stranger Things, Tales from the Loop, est-ce que Herr Scipion ne succomberait pas à la sirène de la mode en versant dans les scénarios et les mondes mettant en scène des ados ?


Complètement, et ce n'est pas d'hier. Je veux dire, si House of the rising dead parle de zombies, c'est déjà un pur effet du zeitgeist. Quand je l'ai écrit, il y a dix ans, on était en pleine déferlante mort-vivante. Cela commence à se calmer, je trouve, mais à l'époque, on bouffait du zomblard à toutes les sauces. Forcément, cela m'a donné des envies et des idées. Difficile de ne pas être de son époque, surtout quand on fait l'effort de se tenir au courant des évolutions de la culture populaire, en particulier horrifique. Je mate des films, des séries, lit des bouquins, des bédés, dans le seul but de ne pas être trop largué. La culture pop avance à 200 à l'heure, tu l'auras sans doute remarqué.

 



Clairement, si j'ai tilté sur la combo Max + minicartes Dozen + PJ enfantins + eighties, c'est parce que j'avais vu les premières saisons de Stranger Things et Dark, ainsi que le premier volet du Ça cinématographique. L'air du temps, qui faisait écho à mes lectures adolescentes, Stephen King en particulier. Ça justement, l'une de mes grosses claques littéraires de jeunesse. Tales from the Loop par contre, pas trop. Je ne l'avais pas lu lorsque je me suis lancé dans Minimax, juste entendu parlé (j'ai rattrapé mon retard par la suite). Little Fears en revanche, oui. Je connais et apprécie ce jeu depuis sa première édition.



Bon, c'est moi ou ça fait plusieurs numéros que tu te rends compte que tu es devenu un sale vieux qui écoutait Scorpions dans les années 80 en jouant à Kult ? Plus sérieusement cette époque te manque réellement ?


Ah oui mais non, je m'insurge : je préférais Def Leppard. Quant à Kult, ce fut plus tardif, dans les nineties. Le jeu est sorti chez nous en 95, j'étais alors jeune adulte. Dans les années 80, encore ado, je jouais à Chill. Première édition, oui monsieur. Pour être honnête, je ne suis pas terriblement nostalgique de cette époque. Je veux dire, pas au-delà de ce qu'on peut attendre de n'importe quel adulte. Ouais j'étais jeune, et maintenant je suis vieux, mais ma vie d'aujourd'hui est vachement plus cool que celle d'alors. Du coup, je n'ai trop rien à regretter. Bon okay, j'avais des cheveux et de meilleurs yeux. C'était agréable. À part ça, c'est bien mieux d'être old Johan maintenant que d'avoir été teen Johan à l'époque. Y'a carrément pas photo.

Par contre, j'aime d'amour la culture horrifique eighties. En littérature comme au cinéma, cette période est super intéressante. Riche, originale, inventive, foisonnante. Comme les seventies d'ailleurs, autre âge horrifique faste. Pour le coup, aucune nostalgie dans l'affaire. Que du factuel. Il se trouve juste, mais c'est une coïncidence, que j'ai commencé à me forger mes goûts et ma culture à cette époque. Pour une fois, un vrai bon timing.

Fondamentalement, je ne surkiffe pas The Thing parce qu'il est sorti lorsque j'étais ado, je le surkiffe parce que c'est un chef-d'œuvre. Idem pour Hellraiser ou, en ce qui concerne la décennie précédente, L'Exorciste et Massacre à la tronçonneuse. Que je n'ai vus, eux, que bien après leur sortie ciné. Pour ceux-là, j'étais vraiment trop petiot. Après tout ce temps, je trouve ces films toujours aussi excellents, alors qu'il y en a plein d'autres de leur époque que je n'ai aucune envie de revoir. Eux restent pertinents, et ça aussi, c'est factuel. La meilleure preuve est qu'ils continuent d'être abondamment copiés, au point que certains ont engendré des franchises encore vivaces (et très inégales, certes), voire des sous-genres à part entière (dans lesquels mon travail sur Sombre s'inscrit en plein).


Tu comptes développer d'autres settings historiques ?


Je n'en sais rien. J'ai toujours envie de décors de jeu, pas trop gros si possible, sans que je puisse dire exactement vers quoi me porteront mes prochaines inspis. Il y a bien sûr Lakewood, le setting moderne (mais pas forcément contempo) dans lequel s'inscrivent Camp Indian Lake (S8) et Minimax (S10). Il bourgeonne pas mal à ma table en ce moment, mais pour celui-là comme pour d'autres, c'est beaucoup une question de playtest. J'ai développé Indian Lake et Aliiive (HS5) par le jeu, et ne conçois pas de faire autrement pour mes prochains décors. Sauf qu'en ce moment, ce n'est pas trop la fête du Kitchen Club. Je verrai bien où j'en serai lorsque mon activité ludique aura repris son rythme de croisière.

Sombre 10 (et dans une moindre mesure HS7) sont, je crois, les premiers numéros à avoir besoin, pour que leur compréhension soit complète, d'être accompagnés de la lecture d'anciens numéros, notamment S9, S8 et S5. C'était une volonté de ta part ? Il me semble que c'est quelque chose que tu évites de faire en temps normal, non ?

Oui, tout à fait. Enfin, ça dépend. J'ai depuis longtemps acté qu'il y avait, parmi les numéros réguliers, des livres de base (S1, S6 et S9) et des suppléments. Donc quand on achète l'un des seconds, il faut aussi acquérir au moins l'un des premiers. Comme dans toute gamme rôliste, en fait. Tu choppes une campagne, un sourcebook, ou un recueil de scénars, il te faut le bouquin de base pour le faire tourner. Normal. Pour exploiter S10, tu as donc besoin des règles qui se trouvent dans S6 (Ouijalloween est un scénario Zéro) et S9 (Minimax est une variante Max). Jusque là, pas de scandale.



En revanche, je suis très réticent à obliger le lecteur plus ou moins occasionnel à acheter un supplément régulier pour pouvoir profiter pleinement d'un autre supplément régulier (pour les hors-séries, c'est autre chose puisqu'ils s'adressent aux hardcore fans, par définition complétistes). Mais avec S10, j'ai été contraint d'y venir. La faute à la continuité. Comme je te le disais, Lakewood, cette petite bourgade (fictive) du trou du cul forestier des États-Unis, commence sérieusement à pousser à ma table. C'est tout aussi organique qu'imprévu, simple résultat du playtest intensif. Cela a commencé tandis que je menais Indian Lake, le camp de vacances de S8. J'y ai joué des scénarios, publiés eux aussi dans S8, puis une campagne, que j'ai racontée dans HS3. Et des one-shots par-ci par-là. De plus en plus souvent, la cabane au fond des bois de S5 ne se trouvait plus sur la rive de Paradise lake, mais sur celle d'Indian Lake. Tant et si bien que lorsque j'en suis venu à playtester Minimax, Lakewood s'est imposée comme une évidence.



Pour les besoins de cette variante, j'ai développé (par le playtest) quatre nouveaux settings, un cimetière de voitures (version avancée de celui de S4), une scierie abandonnée, une gare désaffectée et une mine inondée, tous publiés dans S10 avec les plans et les descriptions qui vont bien. Pour des raisons ludiques, il m'en fallait six. Très naturellement, le summer camp et la cabane au fond des bois les ont rejoint. Tout cela s'emboîtait super bien. À ma table, c'était classe. Dans le cadre de la publication de Minimax, la question était de savoir comment traiter les deux settings récupérés dans de précédents numéros ? Devais-je reproduire leurs plans ? J'ai décidé que oui. Ils sont donc dans S10, dans des versions légèrement retouchées par contrainte de format. Devais-je également reproduire leurs descriptions, sachant que pour le camp, cela prendrait au moins six pages, et pour la cabane, deux ?


Je ne sais pas si tu l'as remarqué, mais S10 est plein comme un œuf. Dans ce numéro, pas beaucoup de blancs en bas de page. Cela voulait dire que pour caser mes huit pages supplémentaires, je devais faire sauter un texte. En clair, ce copier/coller m'aurait coûté un compte rendu Minimax. J'ai décidé que je préférais un CR de plus. Qu'il y en ait un ou deux ne changerait rien pour les lecteurs qui m'achèteraient S10 et HS7 parce qu'en cumulant les deux zines, ils disposeraient de toute façon de l'intégralité des comptes rendus Minimax, que je juge fortement utile à qui veut exploiter cette variante. Ceux par contre qui n'achèteraient que S10, et il y en aurait pas mal (les hors-séries sont moins appétants pour les lecteurs occasionnels), ne pourraient lire qu'un seul compte rendu. Je pensais que ce serait un peu juste, donc je me suis dit, la cabane peut se passer de description. T'as vu Evil Dead, t'es au parfum. Le plan suffit. Pour le summer camp par contre, c'est plus chaud. Mais si tu ne possèdes pas S8, tu l'écartes simplement de tes parties Minimax. Il te reste cinq décors jouables, dont quatre décris dans S10, ce qui est plus que fonctionnel, confortable.


Enfin, dernier argument et pas des moindres, j'étais également très réticent à [re]vendre à mes lecteurs les plus fidèles huit pages qu'ils avaient déjà achetées. Minimax est publié dans le dixième numéro régulier de la revue. On se doute qu'à ce stade, la plupart des clients le sont de longue date. Je veux dire, si demain tu te lançais dans Sombre, tu taperais d'abord dans les livres de base et les petits numéros. S10 ne serait pas ta priorité. Que chaque régulier soit indépendant était plus important au début de la gamme. J'en arrive à un point ou la continuité d'un numéro à l'autre n'est plus aussi problématique en termes éditoriaux. Et comme elle tend à s'imposer fortement au niveau ludique, je m'y abandonne. Je suis très loin d'une storyline à la White Wolf, mais un peu de liant me fait plaize. Cette continuité Lakewood est tellement fun à jouer et à écrire que je m'en voudrais de la censurer dans le zine.


Si tu voulais donner une bande-son pour la lecture de Sombre 10, ce serait quoi ?


Question cool parce qu'en général, on ne s'intéresse pas trop à la bande son de lecture. Les demandes portent plutôt sur celle de jeu. Dans les deux cas, je n'ai malheureusement guère de conseils précis à donner, car pour lire aussi bien que jouer, ma préférence va au silence. Mais à vue de pif, je dirais que n'importe quoi avec du Carpenter dedans, que ce soit du John ou du Brut, devrait faire l'affaire. De la synthwave, mais dââârk nom de Dieu.



Depuis la parution de Max, tu sembles friand de matos pour cette variante précisément. Est-ce que Zéro et même Classic sont appelés à ne plus connaître de matos ?


Non pas du tout. J'ai effectivement consacré 2019 à Max parce que je pensais que si je voulais donner une vraie chance à ce système Sombre, il fallait que je propose d'emblée pas mal de matos dédié. En l'occurrence, un bloc de règles, un article de conseils de maîtrise et trois scénarios. C'est comme quand, dans un jeu de cartes à collectionner, tu décides, après plusieurs extensions, d'introduire une nouvelle faction aux mécaniques spécifiques. Direct faut cracher la patate de cartes parce que sinon, elle ne sera pas jouée. S'il n'y a pas assez de choix tout de suite, les joueurs préféreront en rester aux anciennes factions, qui disposent chacune d'un pool de cartes déjà important.

Il se trouve que j'ai renchéri avec une variante Max en 2020, mais ce n'était pas prémédité. Pur accident créatif, comme je te l'ai expliqué. Pour être juste, j'ai quand même livré pas mal de matos Zéro en parallèle, un setting dans HS5 ainsi qu'un scénario dans S10. J'aurais certes pu repousser la publication de Minimax, mais ne l'ai pas fait parce qu'il s'emboîtait trop bien avec Ouijalloween. Quand j'ai tilté sur la possibilité de sortir un numéro spécial [pre]teen horror, j'ai sauté sur l'occase. C'était pur cool.

En dehors de cela, le challenge reste toujours le même, développer tous les systèmes Sombre en parallèle. Le défi existe depuis S2, dans lequel j'ai publié la toute première version de Zéro. Il devient de plus en plus ardu à mesure que le nombre de systèmes augmente. Chaque zine ne comporte que 72 pages, et même à raison de quatre par an, le volume de texte global reste limité. Par ailleurs, avant de publier quoi que ce soit, il faut le playtester, et le playtester bien. Pour mes productions les plus ambitieuses narrativement et techniquement, catégorie à laquelle appartiennent pas mal de mes projets Classic, cela prend énormément de temps. Or si je veux que ma revue perdure, il faut aussi que je me tienne à des dates de parution régulières et des sommaires un minimum cohérents. Je dois arbitrer tout ce bordel, avec par dessus le marché, les contraintes fortes induites par le Covid. Pas le truc le plus fastoche du monde, on va dire.


Je te laisse conclure.
 

Sombre c'est bon, mangez-en.


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4 commentaires:

Anonyme a dit…

Très intéressant, comme d'hab. Bon boulot ! Merci à vous !

CQFD a dit…

Ca a l'air marrant, le numéro halloween donne bien envie j'avoue ! Merci pour l'interview. Toujours très sympa de te lire.

Anonyme a dit…

Super interview !

Klab

Anonyme a dit…
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