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mardi 2 février 2010

Jamais La Nuit



A Morphée, qui daigne si peu me prendre dans ses bras.


La nuit était froide, insipide et stérile. L’obscurité environnante semblait étouffer toute vie ainsi que les odeurs suffocantes de l’humidité chaude et noire inhérentes à la nuit. Benjamin errait au grès des rues de La Garde, observant les habitants dans leur sommeil innocent. Le bruit des chaînes accrochées à ses bottes stigmatisait le silence alors que son khôl commençait à fondre et que la sueur dût à la marche de Ben suintait de sa peau. Sa sueur. Son démon voulant fuir une enveloppe corporelle n’étant plus à son goût. Encore une nuit sans sommeil, encore une aube éveillée, l’insomnie de Ben était une malédiction que celui-ci traînait dans son sillage.
Les gens normaux, eux, dormaient de leurs « juste » sommeil, plongés dans des songes rédempteurs ou des rêves érotiques, ne pouvant pas se douter que Ben trottait dans les parages…Et Ben s’en félicita. Nombreux étaient ceux qui lui avaient d’ores et déjà interdit le quartier ayant sans doute peur que celui-ci ne donne quelques mauvaises influences à leurs bambins. Il n’était pas le bienvenu ici, plus depuis ce qu’il avait fait à Julie. Il y a un mois, Ben vivait une relation torride avec Julie, la petite Marçet. Son père était connu dans le coin pour avoir une entreprise de publicité florissante et voyait bien évidemment d’un sale œil le fait que son unique fille fréquente un solitaire aussi spécial que Benjamin Fossoit. On racontait d’étranges histoires sur son compte, et dans une ville telle que La Garde, les rumeurs vont bon train. Le fait que Ben aima sa solitude gênait les parents de bonne famille, toujours à l’affût des moindres faits et gestes du « petit Fossoit ».

Mais Ben était un solitaire, et un très beau garçon. Les filles du coin lui trouvaient un charme énigmatique et Julie était éperdument tombée amoureuse de lui, ne cessant de lui trouver du charme, tour à tour pour ses longs cheveux blonds lui tombant jusqu’au épaules, pour son piercing ornant sa narine gauche ou celui passant dans son nombril, pour ses yeux tristement noirs et profonds, vides de sens mais accueillant comme la mort. Ben scruta les milles étoiles du ciel en s’asseyant sur le capot d’une voiture. Julie n’était qu’une gosse… Pas physiquement, bien sûr, elle avait vingt ans et Ben se remémorait le temps où sa main caressait son corps si parfaitement féminin. La courbe de ses seins et de ses hanches valait tous les trésors du monde, et son humide et ultime repli intérieur était un des rares endroits où Ben se sentait rassuré, alors qu’une partie de lui-même se perdait dans l’océan de chaleur qu’était Julie.
Non, physiquement Julie était déjà une femme mais se laissant portée par des pensées puériles et insignifiantes et ses idées ou ses envies ne collaient pas à l’image que l’on peut se faire d’une vrai femme, telle que Ben la désirait. Les longs cheveux roux de son ancienne maîtresse flottaient encore dans les vagues de son esprit, sans cesse en reflux intérieur, mélangeant à cette couleur le bleu de ses yeux et la fraîche saveur langoureuse de son antre secret, le goût que Ben se surprenait parfois à ressentir dans sa bouche ou sur sa langue, la saveur qu’il ressentait en ce moment même, observant les étoiles et goûtant la solitude habituelle de l’éternel insomniaque vagabond.

Qu’est-ce qui n’allait pas, ce soir encore ? Benjamin s’était couché tard dans la nuit, bercé par le son craché par ses haut-parleurs. Evidement, les voisins n’appréciaient pas le goût immodéré de Ben pour la musique, surtout si tard, mais il s’en foutait. Benjamin aimait écouter la souffrance des paroles, la savante alchimie qui s’opérait lorsque la guitare et la basse rejoignaient les cuivres dans une furieuse vengeance envers la vie, si meurtrière, aveugle et sordide. Les groupes que Ben écoutait chantaient la mort, la nuit, l’amour impossible, et le temps qui s’écoulait invariablement entre ces trois composants ponctuant tour à tour cet immense suicide inutile appelé la vie. Ben trouvait un ultime réconfort dans ces groupes, s’isolant peut-être encore plus, et ne se trouvant aucune affinités avec les autres auditeurs, semblant blasés par le monde les entourant.
Ben, lui, n’était pas comme ça. Le monde lui plaisait bien, il aurait même pût l’aimer s’il n’y avait pas eût les hommes. Certains étaient comme Julie, d’une compagnie tout au plus enrichissante, mais la plupart était d’ignobles abominations, prompts à mille atrocités, n’ayant pour unique but que de s’enrichir sur le cadavre d’autres abominations afin de pouvoir se vanter auprès de leurs semblables de leurs méfaits, méfaits applaudit puis copiés par les dits camarades, renouvelant ainsi un cercle vicieux sans fin autre que celle de leurs misérables et insignifiantes vies et appelé « carrière ».
Mais cette nuit encore, la déchirante musique n’avait pût réconforter Ben et celui-ci s’était habillé et était sorti, une fois encore. La ville l’avait accueillit dans son humide chaleur de juin, la nuit le plongeait dans ses obscurs regrets, et son incessante amertume. Ben était habitué à ne pas dormir, ses longues ballades nocturnes lui laissaient le temps de réfléchir et de méditer, comme il le faisait ce fragile matin encore. Réfléchir à la tournure qu’avaient pris les événements. Mais malgré les sentiments qu’il éprouvait pour Julie, il ne pouvait nier l’évidence. On ne peut se mentir longtemps que si on le fait volontairement et Ben n’était pas dupe. Tout était fini.
Comment cela avait-il pût se produire ? Ben pourtant connaissait enfin les heureuses heures de sommeil, Julie lui apaisait les pensées et son corps nu réchauffait le lit et la vie nocturne du solitaire. Il lui arrivait même parfois de dormir dix heures d’affilées sans s’éveiller une seule fois. Ses songes, car il arrivait enfin à s’en souvenir, l’emportaient dans des endroits intemporels et inaccessibles où il rêvait de gigantesques orgies sanglantes où retentissait le glas spectral de la mort, nimbée de blanc et de lumière, libératrice souveraine d’un monde à l’agonie. Quand Julie n’arrivait pas à trouver le sommeil, elle lui passait savamment la bouche sur tout le corps, avant de l’avaler entièrement, lui et sa semence à peine éveillée, pour le chevaucher par la suite et le faire jouir une seconde fois.

Oui, Ben arrivait enfin à revivre et pourtant, tout était fini. Le commencement de la fin avait surgi sous les traits d’un jeune blondinet. Au début, Julie, qui l’avait croisé dans la rue, se moquait gentiment de lui. Mais très vite, Ben s’aperçût qu’elle s’était renseignée sur ce gosse. Son nom, son logement, ses habitudes et ses relations sexuelles. Tout se dégrada vite, bien trop vite, comme c’est toujours le cas dans ces situations. Le jour où Ben surpris sa maîtresse dans les toilettes d’un bar en train de faire l’amour avec le blond, c’était trop tard. Comme il était également trop tard pour contrôler cette furieuse envie d’arracher la tête du gosse qui avait ainsi forcé Julie à le suivre… Il lui cassa deux dents et une côte avant que Julie ne s’interpose et que la logique devienne enfin claire à Ben. C’était elle qui l’avait suivi, bien sur. Bien sur, elle en avait assez de Ben, de son humeur, de ses cheveux blonds, de ses piercings ou de ses chaînes. Assez de voir ses yeux noirs, vides comme un gouffre et froids comme la mort. Pourquoi agir ainsi ? Ben n’en avait pas la moindre idée, mais, obéissant à une envie impulsive et incontrôlable, il prit la tête de Julie et l’envoya rencontrer le mur des toilettes jauni par la fumée de cigarettes en un bruit terrifiant et avec une violence dont lui-même ne se serait crût capable.
Le résultat était l’hospitalisation de l’unique personne ayant vraiment compté aux yeux vides de Benjamin. Julie avait eût trois dents cassées –bien fait, la salope, elle sucera moins facilement à présent ! - et Ben ne se le pardonnerait jamais. Evidemment, elle ne lui adressait plus la parole et Ben évitait même de croiser la route de son ancienne maîtresse, mais pourtant il était, ce soir encore assis à scruter la fenêtre de sa chambre à coucher, au quatrième étage, cette chambre où il avait connu mille plaisirs charnels et en avait tant et tant donné. Et merde ! Ben craqua une allumette et s’alluma une clope. La fumée lui faisait l’effet d’une douce caresse chaude et mortelle. Elle pénétrait dans sa gorge, s’insinuait dans ses poumons, lui broyait le ventre telle une étreinte foudroyante et malsaine. Il cracha une épaisse fumée grise par ses narines et ouvrit la bouche en rejetant ce qu’il y restait. La fumée montait comme une essence purement diabolique et mauvaise droit vers la fenêtre de Julie. Vers ses volets jamais fermés et vers son grand lit accueillant où Ben imaginait Sa Julie, lascivement étendue, rêvant sereinement à un monde meilleur, sans hommes, sans guerres et sans murs de chiottes.

Négligemment, Ben remarqua que la Mazda des parents de Julie n’était pas à sa place, sans doute ceux-ci étaient partis voir des amis. Les parents de Julie s’absentaient souvent et avaient toujours quelqu’un à aller voir, une mamie dont s’occuper ou un employé à licencier. Ben s’étaient plusieurs fois laissé dire que les parents de Julie pratiquaient une quelconque forme d’échangisme, même s’il n’en avait jamais eu la moindre preuve. Imaginer le vieux Marçet observant sa femme – une grosse femme blonde décolorée aux immenses lèvres refaites- en train de se faire défoncer par un autre que lui était quelque chose qui le faisait beaucoup rire, et l’idée lui plaisait bien. Ben savait qu’à la suite de la lamentable scène du bar, Julie avait quittée le blond, qui s’appelait Gérard, et restait la plupart du temps enfermée dans sa chambre. Ben l’imaginait en train de lire –c’était une grande admiratrice de J.R.R Tolkien- de regarder la télé ou encore d’écouter Pearl Jam, son groupe de rock favori. Il supposait qu’elle devait se masturber de temps à autre, car depuis son adolescence, Julie appréciait beaucoup ce passe-temps, et se fumer un joint régulièrement, habitude prise au lycée. Voilà comment Ben, le solitaire insomniaque, supposait que Julie, la solitaire traîtresse, passait ses journées depuis sa perfide félonie, et pourtant, que les nuits étaient longues sans elle ! Il aimerait tant passer la nuit à ses côtés, ne serait ce que pour pouvoir enfin dormir et se laisser flotter dans des songes où il pourrait oublier ses erreurs. Il se leva du capot sur lequel il se reposait, écrasa sa clope sur ses bottes cloutées, respira un coup et repris sa lente et silencieuse marche, mais cette fois-ci, en direction du bâtiment de Julie.

La porte de l’immeuble était d’un vert pâle usé, rongé par la rouille et par des inscriptions faites au marqueur ou au crayon. Pour entrer dans le bâtiment, il fallait faire un code sur le clavier trônant aux cotés de l’interphone. Ben connaissait ce code, 6815, tapoté rapidement sur le clavier. La lourde porte s’ouvra, laissant place à un escalier obscur, puant la pisse chaude et les ordures. Benjamin monta les marches une à une dans l’obscurité, le bruit des chaînes rythmant sa respiration. Premier étage, puis le second, puis le troisième. La porte des Marçet l’accueilla au quatrième étage. Aucun bruit dans l’appartement, Ben tourna la lourde poignée. La porte était ouverte, signe que Julie attendait ses parents ou que ceux-ci, pensant rentrés tôt, n’avaient pas jugé bon de fermer à clé. L’appartement sentait la sueur et la tragédie. L’obscurité l’habitait mais Ben connaissait les lieux. D’abord un tour dans la cuisine pour prendre le grand couteau trônant au-dessus de la cuisinière, puis retour dans le couloir pour prendre la troisième porte à gauche, la chambre de Julie. La légère clarté de la pleine lune éclairait la pièce, Julie était étendue sur son lit désordonné, nue, un walkman sur les oreilles crachant une musique de rock. Ben l’imaginait comme une chimère, nimbée de pureté et de grâce et déjà, le sommeil lui fermait les yeux, la présence de Julie le calmait, l’apaisait, lentement mais sûrement…

Ce fut les policiers qui le trouvèrent, endormi sur un banc du jardin public, la tête sanglante de sa victime dans les bras, le sang coulant de celle-ci l’avait presque entièrement recouvert. Il fallut deux hommes pour le réveiller et le double pour le maîtriser alors qu’on lui enlevait la tête de Julie. Il hurlait que sans elle, il ne pourrait fermer l’œil.

Il la réclame encore aujourd’hui.

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